Réinitialiser le monde par l’art après l’échec de la COP26

L’année 2022 marquera le 50e anniversaire du célèbre rapport Meadows publié en 1972, « Les limites à la croissance ». A l’heure où ces limites sont déjà largement dépassées et où le monde économique et politique freine, en témoigne le résultat décevant de la COP26 en novembre dernier, les expositions et biennales internationales en cours appuient sur le bouton “reset”, celui de la réinitialisation de notre monde.

Alors que le M Leuven, en Belgique, présente l’un des “land artists” les plus anciens et iconiques, Richard LongOtobong Nkanga, sujet de plusieurs expositions récentes, notamment au Castello di Rivoli, à Turin, revient également sur les éléments clés de la terre et de l’eau, dans une importante exposition sur quatre étages au Kunsthaus Bregenz, en Autriche. Tout au long du parcours, son regard engagé et empathique interroge la terre et ses ressources : comment les soigner et les protéger au lieu de les surexploiter ?

Les jardins, ces lieux choyés par les humains, sont eux-aussi re-explorés dans une approche critique et un nouveau sens de la responsabilité. Les approches à la fois écologiques, historiques, géographiques et sociologiques des jardins sont examinées au sein de « The Botanical Revolution » au Centraalmuseum, Utrecht, Pays-Bas. L’exposition met en lumière le jardin comme source d’inspiration, symbole d’espoir et de résilience, mais aussi comme héritier et marqueur des inégalités sociales du colonialisme. Dans l’exposition, Maria Thereza Alves révèle comment les fleurs et les plantes «typiquement hollandaises» ont été acheminées  via les anciennes routes commerciales de la colonisation, alors que Lungiswa Gqunta illustre la possession de jardins en Afrique du Sud comme un privilège inaccessible pour beaucoup d’habitants. 

Une série d’expositions témoigne de la volonté de rebondir face au choc de la récente pandémie pour créer des transformations positives, profondes et durables dans notre société. La jeune génération, plus engagée, propose un nouveau logiciel et imagine les nouveaux modèles, matériaux et techniques traditionnels au-delà des paradigmes établis dans « Soft Water Hard Stone », la cinquième triennale du New Museum Les œuvres de 40 artistes émergents du monde entier, dont Thao Nguyen PhanGaëlle Choisne et Evgeny Antufiev, abordent le potentiel de régénération du monde naturel et notre relation indissociable avec lui, et renoncent aux héritages du colonialisme et de la violence.

La deuxième édition de la Biennale de Thaïlande à Korat, intitulée “Butterflies Frolicking on the Mud: Engendering Sensible Capital” (« Papillons s’ébattant dans la boue : engendrer un capital sensé ») se donne comme mission de « détoxifier le capitalisme traditionnel et engendrer un nouveau capital ». Au printemps 2021, l’arrivée massive de beaux papillons aux ailes blanches et jaune-vert voletant joyeusement dans la boue avait fait grand bruit dans les médias locaux de Korat. Prenant cet événement en tant que métaphore, l’exposition suggère avec optimisme qu’il y a un bonheur possible au-delà de notre anxiété et de nos incertitudes actuelles : ce n’est ni le capitalisme, ni le socialisme, mais un « capital social commun » réinvesti. Un choix remarquable de 54 artistes, d’Olafur Eliasson à Goha Dashti, ainsi que de nombreux artistes et designers thaïlandais émergents tels que Boonserm Premthada – qui a imaginé un matériau de construction à partir d’excréments d’éléphant – proposent un nouveau type de relation avec les non-humains, les animaux, les plantes mais aussi l’Intelligence Artificielle. Parmi les temps forts de cette biennale, citons l’installation du botaniste Stefano Mancuso et du PNAT – un groupe de réflexion réunissant designers et scientifiques autour des plantes – qui ont installé des capteurs dans le banian géant d’un temple, permettant au public de ressentir la voix de l’arbre à travers différents signaux lumineux. 

Dans cette mutation en cours, la place du non-vivant, dont l’IA et la biotechnologie, est au cœur des enjeux. Au ZKM à Karlsruhe, en Allemagne, la suite de l’exposition phare « Zones critiques » curatée par Bruno Latour, s’intitule « BioMedia », curatée par Peter Weibel, Sarah Donderer et Daria Mille. Cette nouvelle exposition « invite les visiteurs à apprendre et à échanger sur des modes possibles de cohabitation entre les formes de vie organiques et artificielles », avec les œuvres des artistes Justine Emard et Jakob Kudsk Steensen parmi celles exposées.

L’installation au Turbine Hall d’Anicka Yi« In Love with the World » à la Tate Modern de Londres. On voit ici des « aerobes », des machines géantes ressemblant à des méduses, envahir l’entrée principale du musée. À travers elles, l’œuvre pose la question sous-jacente : « Que se passerait-il si nous  partagions le monde avec des machines qui vivraient à l’état sauvage et évolueraient par elles-mêmes ? ». Une pensée qui peut glacer le sang pendant les froides nuits de Noël. Joyeuses fêtes !

Stefano Vendramin et Alice Audouin

Novembre/Décembre 2021

 

Expositions mentionnées dans l’article :

Richard Long, M Leuven, Belgique, 22 Octobre 2021 – 20 Mars 2022

“Of Cords Curling around Mountains”, Otobong Nkanga, Castello di Rivoli, Turin, Italy, 25 Septembre 2021 – 30 Janvier 2022

Otobong Nkanga, Kunsthaus Bregenz, Bregenz, Autriche, 23 Octobre 2021 – 6 Février 2022

The Botanical Revolution, Centraalmuseum, Utrecht, Pays-Bas, 11 Septembre 2021 – 9 Janvier 2022

“Butterflies Frolicking on the Mud: Engendering Sensible Capital”, Thailand Biennale, Korat, 18 Décembre 2021 – 31 Mars 2022 

Soft Water Hard Stone, New Museum, New York, Etats-Unis, 28 Octobre 2021 – 23 Janvier 2022

BioMedia, ZKM, Karlsruhe, Allemagne, 18 Décembre 2021 – 28 Août 2022

Hyundai Commission: Anicka YiTate Modern, Londres, BG, 12 Octobre 2021 – 6 Février 2022

Credits : 

“2021 Triennial: Soft Water Hard Stone,” 2021. Exhibition view: New Museum, New York. Photo: Dario Lasagni
Otobong Nkanage, Unearthed – Abyss, 2021. Installation view, Kunsthaus Bregenz, Bregenz, Austria, 2021. Photo: Markus Tretter. Courtesy of the artist  © Otobong Nkanga,
Maria Theresa Alvez, Seeds of Change, The Botanical Revolution, Centraalmuseum, Utrecht, Netherlands, September 11th 2021 to January 9th 2022 Photo Centraal Musuem Utrecht ©Robert Oosterbroek /Lungiswa Gqunta, Lawn 1, The Botanical Revolution, Centraalmuseum, Utrecht, Netherlands, September 11th 2021 to January 9th 2022 ©Robert Oosterbroek
Justine Emard, ZKM, BioMedia, Karlsruhe, Germany, 18 December 2021 – 28 August 2022 /  Installation view of Hyundai Commission: Anicka Yi at Tate Modern, October 2021. Photo by Will Burrard Lucas

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