L’artiste Haley Mellin vit aux Etats-Unis à Union City, dans le New Jersey, et se consacre au dessin et à la peinture. Elle est la fondatrice de l’initiative de protection de l’environnement Art into Acres.

Art of Change 21 : Vous avez actuellement une exposition personnelle Biodiversity and Betadiversity à la galerie Dittrich & Schlechtriem à Berlin, pouvez-vous nous en dire plus ? 

Haley Mellin : J’expose de nouvelles peintures et dessins, liés à mes observations lors des programmes de conservation de la biodiversité que j’organise dans le monde. Le but de ces projets menés en collaboration avec les communautés locales, est de préserver une nature sauvage, encore intacte, caractérisée par une flore très abondante et de nombreuses espèces nouvelles pour la science. Je représente deux approches de la biodiversité, comme l’indique le nom de l’exposition, des territoires à la fois biodiversifiés, ce qui implique une grande variété d’espèces, et “bêta-diversifiés” (diversité-β), ce qui indique les changements de diversité dans les habitats et qui sont essentiels pour s’adapter aux changements
Ces œuvres sont destinées à refléter un large éventail d’espèces, mais aussi à faire valoir leurs droits à disposer d’un habitat et de prospérer dans la nature. Évitant toute ligne d’horizon ou perspective, les plantes occupent toute la surface de la toile, le visiteur est immergé en elles. Pour moi, la diversité chromatique et biologique reflète l’optimisme et la résilience. 

Vous avez un engagement personnel fort en faveur de l’environnement. Comment avez-vous intégré cette dimension dans la réalisation de l’exposition ?

L’impact de l’exposition fait l’objet d’une évaluation de ses émissions de carbone et de nombreuses actions ont été menées. Afin de réduire le transport en avion, les grands dessins au fusain sur lin ont été réalisés sur place, dans la galerie. Le rouleau de lin provient d’un magasin local à Berlin. Les dessins mesurent trois mètres de haut, mais leur transport a pourtant été très simple, roulés dans un tube. Au lieu d’expédier les petites peintures dans des caisses, je les ai transportées avec moi depuis les Etats-Unis, dans une boîte en carton. 

Pour des raisons écologiques, j’ai abandonné la peinture à l’huile. Les peintures et dessins de l’exposition ont été réalisés à la gouache, à l’aquarelle, au graphite, au fusain sur toile et ont été créés à l’extérieur à l’aide de matériaux non toxiques. Ces matériaux ont permis un nettoyage sans danger et un séchage rapide des peintures, qui ont pu être déplacées et rangées dans un sac à dos. 

L’enjeu du développement durable a inspiré la scénographie de l’exposition. Elle est conçue comme un livre. Les peintures sont accrochées par paires, rappelant les pages d’un carnet de notes ; il y a une bibliothèque avec des publications sur l’écologie et la justice environnementale, les réfugiés climatiques, les pays du Sud, la biodiversité et les biomes. Les actions positives pour l’environnement sont quelque chose que nous apprenons tous ensemble. Pour que le développement durable soit une action mondiale efficace, il doit être inclusif et impliquer tout le monde.

La galerie Dittrich & Schlechtriem fait elle aussi sa part. Elle est installée dans un bâtiment à faible consommation d’énergie, alimenté par l’énergie solaire, et recueille l’eau de pluie pour un usage interne. Le jour du vernissage, un déjeuner végétalien avec des produits locaux a été servi.

Haley Mellin, Biodiversity and Betadiversity, Exhibition view, DITTRICH & SCHLECHTRIEM, Berlin, 2024. © Haley Mellin / DITTRICH & SCHLECHTRIEM

Vous avez fondé l’initiative de conservation des terres Art into Acres. Quels sont ses principes et comment reliez-vous cette action à votre travail artistique ?

Art into Acres a vu le jour en 2017 après quinze années de recherche et de formation. L’accent est mis sur les habitats biodiversifiés – des écosystèmes qui se sont développés pendant des millions d’années. Cette association vise à soutenir les communautés locales et les populations autochtones dans la mise en œuvre de la protection de leurs terres ancestrales, dans des sites souvent isolés.  Elle recueille des fonds grâce à des dons et à la vente d’œuvres d’art, ce qui permet de classifier et de conserver de nouvelles zones protégées de manière pérenne. 

Cette action de conservation des habitats naturels est collaborative, menée localement et fait souvent appel à des moyens légaux. Le processus de conservation répond à trois critères : être approuvé par la communauté, être reconnu à l’échelle internationale et être financièrement abordable. Par exemple, un artiste a récemment participé à la préservation locale de 250 000 hectares de bassin versant au sommet d’une montagne en Équateur. Ce projet s’appuyait sur une loi locale de protection de l’eau qui avait été ratifiée, mais pas encore appliquée dans la région. Les partenaires juridiques et locaux du projet comprenaient l’Andes Amazon Fund, Art into Acres, Re:wild et Nature Conservancy Ecuador.

Une œuvre d’art est une représentation visuelle d’un temps donné, tandis qu’un paysage est une représentation visuelle du temps long. Le mois prochain, en juin 2024, sera révélé un projet artistique soutenant connectivité écologique, verra le jour avec l’artiste Julian Charrière, Globus Public Art et la Fondation Beyeler.

Haley Mellin, Cloud Forest, 2024 (left, detail; right, full image) © Haley Mellin / DITTRICH & SCHLECHTRIEM

En plus d’avoir cofondé Gallery Climate Coalition (GCC) et Artists Commit (AC) à New York, vous formez et accompagnez le secteur de l’art sur l’enjeu du climat. 

L’enseignement et la création artistique ont des vocations similaires. J’ai commencé à enseigner dans des écoles bilingues pour des familles de travailleurs immigrés à Oakland, en Californie, à l’âge de 20 ans. Depuis, je n’ai jamais cessé d’enseigner d’une manière ou d’une autre. Cette année, en 2024, je vais animer une série de séminaires sur « What is Carbon ? Climat, histoire de l’art et pratique contemporaine » au Metropolitan Museum of Art de New York, pour les équipes administratives, logistiques, les conservateurs et les commissaires d’exposition. Il s’agit de la première formation du musée en matière de développement durable et de climat. J’aborde la chimie et la science moléculaire, la peinture du 15ème siècle, et bien sûr les actions pratiques que les équipes du musée peuvent entreprendre pour réduire les émissions carbone et le gaspillage. L’objectif est de renforcer l’éducation aux pratiques écologiques dans le fonctionnement quotidien des musées : à l’échelle de la conservation, l’alimentation, les transports, la communication, le stockage de données, etc. Notre relation avec la nature est une question de prise de conscience. Si nous changeons notre conscience, nous changeons nos actions. 

Pendant deux ans, j’ai aidé bénévolement des musées, des ateliers d’artistes et des organisations à but non lucratif à effectuer leurs premiers calculs d’émissions de carbone. Le bénévolat fait partie intégrante de ma vie depuis mon enfance, mon père nous faisant faire du bénévolat pendant les week-ends.

Deux bourses de la Fondation Teiger m’ont permis de continuer à soutenir les premiers calculs carbone et la formation à la réduction des émissions. Cette première aide a permis de financer la réalisation de calculs pour soixante institutions américaines et européennes. En Allemagne, par exemple, j’ai travaillé avec la Documenta 2027, la Hamburger Kunsthalle, le Kunstmuseum Bonn et la Neue Nationalgalerie.

Quelles sont vos sources d’inspiration et vos motivations ?

Je me nourris de nombreuses personnalités et de nombreux cœurs. J’ai de la gratitude pour des mentors tels que le biologiste Thomas Lovejoy, le cartographe Karl Burkart et l’écologiste Enrique Ortiz, qui enseignent la biodiversité et la science des biomes, ainsi que pour la commissaire Enuma Okoro, qui a récemment écrit un article exceptionnel sur nos corps en tant que masses d’eau.

Enfant, lorsque je lisais les histoires des espèces et des cultures, j’étais inspirée par l’histoire et la façon dont on pouvait tirer des leçons du passé. J’ai grandi près de Point Reyes, en Californie, la terre actuelle des buses à queue rousse et des élans de Tule, où vit le peuple indigène Miwok. Apprendre comment les communautés humaines ont vécu en harmonie avec la nature est ma plus grande source d’inspiration.

Conversation avec Alice Audouin et Eliza Morris
Mai 2024

« Biodiversity and Betadiversity », Galerie Dittrich & Schlechtriem, Berlin, jusqu’au 29 juin 2024.

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Couverture : © Haley Mellin

Impact Art News, Mars-Mai 2024 #48
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