Claudia Comte, née en 1983 à Grancy en Suisse, convoque les grands enjeux environnementaux dans son travail de sculpture et d’installation multimédia.  Sa maison-atelier, dans la campagne aux environs de Bâle, fonctionne de manière écologique et promeut les échanges et les expérimentations.
Prochaine étape : Art Basel Unlimited dans la foire de Bâle, avec une œuvre immersive à fort impact sensoriel et écopolitique.

Quand avez-vous commencé à intégrer une dimension écologique dans votre travail ?

La façon dont je vois le monde a été forgée par mon éducation en Suisse, en vivant à la campagne, entourée par les forêts, les lacs et les montagnes. Le temps passé en plein air m’a donné un sens aigu du rythme et des textures de la nature. J’ai toujours été attirée par les formes naturelles – les géométries de l’évolution, les motifs de l’érosion – et je m’intéresse à la manière dont elles peuvent être transposées dans le langage visuel ainsi que des matériaux. Avec le temps, ma conscience de la fragilité des écosystèmes et du changement climatique a grandi, jusqu’au point de rendre de plus en plus présents l’écologie, le développement durable et la résilience dans mon travail. Je m’intéresse particulièrement à la manière dont la nature et les humains sont reliés, cette connexion est précaire et soulève de nombreuses questions.

Vous avez immergé dans l’océan une structure en forme de cactus en Jamaïque en 2019. Pouvez-vous nous en parler ?

Le Underwater Sculpture Park a été produit pendant une résidence à l’Alligator Head Foundation en Jamaïque, mécénée par TBA21 – Academy. Après des plongées quotidiennes et des conversations avec des biologistes marins là-bas, j’ai compris combien il est urgent d’agir face à la détérioration des récifs coralliens. Assister au travail minutieux de l’élevage de coraux dans les laboratoires de cette Fondation m’a conduite à imaginer des structures qui pouvaient activement stimuler la vie marine. Ce travail, qui a été monté et posé au fond de l’océan à l’endroit de l’East Portland Fish Sanctuary, une baie de six kilomètres, fonctionne comme une pépinière de coraux ; une série de grandes structures qui ont la forme de cactus conçues pour l’élevage de coraux et pour aider à régénérer la biodiversité.
Le cactus me semblait un symbole tout naturel – c’est une plante qui survit dans des conditions extrêmes – mais sous l’eau, leur forme apparaît comme quelque chose d’étrange, d’inquiétant presque, comme un paysage renversé.
Ce projet encourage aussi l’écotourisme dans la région, promouvant une alternative durable contre la pêche à grande échelle qui porte atteinte à la biodiversité.

Claudia Comte, Underwater Cacti, Jamaïque, 2019. Courtesy of the artist.

 

En 2024, vous avez aussi travaillé en Corée du Sud autour des volcans, pour l’exposition «Ascending the Ashes : A Tale of Renewal» au K&L Museum. Quel a été l’usage de l’IA dans votre démarche ?

Je pensais à la manière dont les éruptions volcaniques, même si elles sont destructrices, font aussi partie de l’auto-régénérescence des écosystèmes. J’ai utilisé du marbre noir Marquinia, des images générées par l’IA, et une peinture murale à base de terre pour créer un environnement immersif. Les sculptures – qui ont été fabriquées avec des scan 3D d’espèces en voie d’extinction – et le tapis imprimé avec des coulées de lave produites par l’IA, faisaient partie de cette exposition. Les visiteurs pouvaient ainsi réfléchir au rôle qu’ils jouent dans le bouleversements des équilibres, entre les forces géologiques et la résilience écologique, au prisme de l’activité volcanique.

Claudia Comte, «Ascending the Ashes : A Tale of Renewal», K&L Museum, Corée du Sud, 2024. Courtesy of the artist.

Retournons en 2015 au festival Dark Mofo en Tasmanie, lorsque vous avez projeté la vidéo Danse Macabre. Comment l’humour peut-il aussi être écologique ?

Cette œuvre nécessitait deux pianistes qui jouaient la Danse Macabre de Saint-Saëns pendant qu’une grande sculpture en bois en forme de « HAHAHA», construite avec des troncs de sapin, se consumait dans des flammes. Alors que le feu s’intensifiait, une moto allait et venait au milieu des pianos et des flammes, en offrant une étrange chorégraphie du risque.
Ce travail est humoristique, lié à l’histoire et à la manière dont on répond à la catastrophe -souvent avec une sorte de rire nerveux. La symétrie des onomatopées HAHAHA m’avait intriguée : elles peuvent être lues des deux côtés, et filmées dans la campagne suisse, on pourrait presque dire que c’était comme si le paysage était en train de rire.

Claudia Comte, HAHAHA en feu, Dark Mofo, Australie, 2015. Courtesy of the artist.

Tout récemment l’OMR Gallery à Mexico a présenté une œuvre inspirée de Pablo Neruda. Pourriez-vous revenir avec nous sur cette pièce ?

J’ai produit une installation immersive avec un trame de seize colonnes monumentales en marbre, chacune étant gravée un fragment du poème Lost in the Forest de Neruda. Ce texte me touche depuis longtemps, il partage une intimité et une gratitude pour le monde naturel.

Claudia Comte, Lost in the Forest, OMR Gallery, Mexique, 2025. Courtesy of the artist.

Est-ce que votre installation à Art Basel Unlimited cette année sera aussi liée à l’écologie ?

Oui, elle va témoigner de mon intérêt croissant pour les cycles naturels et rythmes biologiques – particulièrement la vie aquatique, la structure des plantes et le temps géologique. Je voudrais vraiment que l’on ressente ces phénomènes encapsulés dans les matériaux. Le marbre joue un rôle essentiel dans ce projet : formé depuis des millénaires dans les lits des océans, il porte les traces des écosystèmes passés et des changements géologiques qui nous précèdent depuis longtemps. Je voudrais dégager un espace de pensée autour des processus qui façonnent le monde naturel et de la fragilité des écosystèmes qui le nourrissent.

Vous habitez à la campagne près de Bâle. Plus qu’un atelier, c’est aussi un lieu d’expérimentations, d’expositions, d’événements participatifs. Comment tout cela fonctionne-il ?

Samuel Leuenberger, mon compagnon, et moi vivons et travaillons effectivement dans la campagne à côté de Bâle, dans une maison-atelier qui reflète les valeurs auxquelles nous tenons tous les deux. La maison est alimentée par l’énergie solaire, avec une attention portée à l’efficacité énergétique et intègre les principes de la permaculture. Au fil des ans, ce lieu est devenu un endroit où la vie quotidienne, le travail artistique se sont mêlés aux diverses collaborations et échanges avec d’autres artistes. Samuel, qui est commissaire d’exposition, y dirige une galerie appelée Country Salts (le sel de la campagne) où les artistes, d’autres commissaires d’exposition et des chercheurs sont invités à développer des projets, des expositions et des idées dans un environnement propice et contemplatif. Et pendant les moments comme Art Basel, cette galerie devient un espace de rencontres loin du tumulte de la ville et du marché de l’art. Il est important pour moi que ma façon de vivre et de travailler soit alignée avec les problématiques que j’explore dans ma pratique – en pensant à la durabilité à travers des matériaux mais pas seulement, comme une manière d’être, de collaborer avec les autres, de construire un nouvel imaginaire.

Galerie et espace de rencontre de Claudia et Samuel dans leur résidence à Bennwil, Suisse

Que mettez-vous en œuvre en ce qui concerne l’impact environnemental de votre atelier et de vos expositions ?

Réduire mon impact écologique est un engagement sur le long terme. Je donne la priorité à des matériaux durables, extraits localement et recyclés quand c’est possible. Je travaille étroitement avec les fournisseurs pour minimiser les déchets et penser attentivement au cycle de vie de chaque projet – de la production au transport et au recyclage. J’utilise beaucoup de bois, c’est l’un de mes matériaux de prédilection. Il provient généralement d’arbres déjà tombés ou qui ont dû être abattus. Mais pour certains projets qui demandent des formes spécifiques, comme les gros troncs bruts de La Danse Macabre, j’ai dû les couper, dans ce cas je fais attention à ce que cela n’endommage pas leur vitalité. Si j’achète du bois, je m’assure que le bois vienne de forêts certifiées et pour chaque arbre coupé, j’en plante deux de plus. Je soutiens des actions de reforestation depuis longtemps.
Je fabrique mes œuvres avec des matériaux qui sont résilients – le bois, la pierre, la terre. Ils contiennent une histoire passée. Les utiliser pour en faire quelque chose de nouveau les altère, en les arrachant de leur place d’origine.
C’est une contradiction que j’essaie de ne pas ignorer. Cela me rend d’autant plus consciente – du poids des matériaux, de la responsabilité qui vient en créant et du fait que l’art n’est jamais neutre. L’art laisse une empreinte.
Au-delà des matériaux, je réfléchis à la trace conceptuelle de mon travail : comment il peut susciter des sentiments, une responsabilité et une façon d’être plus créatif avec le monde vivant.

 

 

Plus d’infos sur Claudia Comte 

Auteur : Juliette Soulez, Art of Change 21

Image de couverture: Portrait de Claudia Comte, 2020, Courtesy of the artist
Images de l’article crédits : Claudia Comte, Courtesy of the artist 

Art of Change 21 Journal (ex Impact Art News), juin 2025 #52

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