Les artistes contemporains sont en première ligne pour observer et interpréter les signes de notre temps, puisant sans cesse dans le pouvoir de l’énergie créatrice. Pour ce premier numéro de l’année 2024, Impact Art News a interrogé 17 artistes contemporains travaillant sur le thème de l’environnement, pour identifier les principales tendances à venir.

Davide Balula, Bianca Bondi, Carolina Caycedo, FormaFantasma, Lonneke Gordijn (Studio Drift), Janet Laurence, Daniel Steegmann Mangrané, Haroon Mirza, Marie-Luce Nadal, Lucy Orta, Yan Wang Preston, Lionel Sabatté, Ugo Schiavi, Timur Si-Qin, Moffat Takadiwa, Michael Wang et Bo Zheng nous ont confié leur vision, leurs attentes, leurs projets et leurs prédictions pour cette année 2024. Cet article inaugure une nouvelle rubrique « Sustainable Art Trends », dédié à l’observation et l’analyse des enjeux environnementaux dans le secteur de la culture.


Une année qui redéfinit la perception de notre monde

De nombreux artistes déclarent être dans une démarche d’introspection concernant leur pratique artistique et particulièrement l’impact culturel et environnemental qu’ils laisseront derrière eux. La trace et l’historicité de la création deviennent un enjeu où les générations futures sont prises en compte. Beaucoup des projets qui verront le jour en 2024 sont des initiatives pluridisciplinaires, collectives et à large échelle. Loin de l’archétype de l’artiste « sous-cloche », beaucoup vont parcourir de nouveaux territoires pour faire bouger les lignes dans des pays retardataires ou réfractaires à la transition écologique.

Plusieurs artistes alertent sur l’anthropocentrisme de nos sociétés modernes et invitent les acteurs culturels à repenser la condition humaine différemment. Inspirés par l’anthropologie et la science, beaucoup d’artistes engagés considèrent notre humanité comme faisant partie d’un ensemble plus vaste, où les relations d’interdépendances prédominent et s’étendent à différentes échelles – microscopique et cosmique – effaçant ainsi les frontières entre le monde de l’animé et de l’inanimé mais aussi entre l’humain et la biodiversité. Porteurs de ces valeurs, les philosophes Juliana Fausto, Donna Haraway, Andreas Weber ou encore l’artiste contemporaine Haley Mellin sont mentionnés par nos artistes comme des sources d’inspiration pour cette année 2024.

« Écocide et génocide vont de pair. Nous ne pouvons pas normaliser l’horreur de revendiquer une terre en la détruisant avec des bombes. J’espère que la violence contre les écosystèmes et les communautés prendra fin. » Carolina Caycedo

 

Moffat Takadiwa, Golden Doors (a) & (b), 2023, Plastic bags, toothbrushes, spools, various materials. Courtesy of the artist and Semiose gallery.


Des artistes de plus en plus engagés pour un secteur culturel durable

Une majorité des artistes attend plus de cohérence de la part du secteur de l’Art Contemporain, particulièrement de la part des galeries et des institutions dans les processus d’exposition, mais aussi des collectionneurs et des fondations concernant le fonctionnement du marché. Ces artistes, qu’ils soient engagés de longue date ou plus récemment dans une démarche écologique, entendent désormais changer la donne et faire valoir leur engagement dans l’écosystème de l’Art Contemporain. Certains mettent déjà en place des protocoles spécifiques – suppression de certains matériaux, emballages recyclés, transport groupé –  et incitent ainsi les acteurs culturels à favoriser des méthodes plus durables, notamment sur la question du transport et du réemploi.

Deux d’entre eux abordent même la question de la propriété intellectuelle et interrogent la notion d’œuvre originale, explorant l’idée de reproduction en tant que solution écologique. Ces enjeux se mêlent à l’apparition de certains outils technologiques comme la blockchain considérée comme sécurisante, ou à l’inverse l’intelligence artificielle qui interroge sur la notion même de création artistique.

L’objet perd donc sa place dominante au profit de l’expérience et des interactions sociales, mettant en avant le rôle central de l’artiste dans la création. De cette mouvance, les artistes évoquent un retour des performances, du spectacle vivant et soulignent l’importance de la main – mais aussi du corps – de l’artiste au service de la création.

« Les artistes, en tant qu’activistes, ne font pas seulement campagne pour sensibiliser aux questions environnementales. Ils recherchent aussi activement des solutions à partir de perspectives personnelles, incarnées et communautaires. » – Yan Wang Preston

L’artisanat, les rituels et les cultures anciennes réparatrices d’un lien perdu avec la nature

Cette année, nombre des artistes interrogés axent leurs recherches autour d’anciennes civilisations, rituels, savoir-faire traditionnels non polluants et ancrés dans une communion avec la nature. Parmi eux, certains prédisent d’ailleurs un renouveau des techniques ancestrales dans la création contemporaine, comme la tapisserie ou la broderie, qui impliquent également la question de l’inclusion des femmes dans nos sociétés. On redécouvre alors des techniques, des récits oubliés, des prophéties et des sciences occultes qui furent marginalisés, définis comme kitsch ou désuets mais qui sont aujourd’hui exhumés et perçus sous un nouveau jour, offrant une nouvelle compréhension du monde.

« L’art engagé dans l’environnement ne peut pas parler en général et doit au contraire se situer dans les matrices hautement contextuelles du temps et du lieu. » – Michael Wang

La conscience d’un monde qui va à sa perte

La majorité des artistes ayant répondu à notre enquête désignent les institutions, les structures de pouvoir et les lobbies comme responsables d’un système obsolète, allant à contre-sens du bien commun pour la vie. La commodification de l’art, la dimension financière et spéculative du marché est critiquée pour son approche déshumanisante, retirant à l’Art Contemporain sa dimension sensible.

À l’heure où la crise écologique s’aggrave, c’est dans le champ du social que vient l’espoir. Les pratiques des artistes interviewés se caractérisent par deux dynamiques très différentes mais complémentaires. D’une part, une mise en lumière critique de nos liens de dépendance avec un système politique mortifère, et d’autre part, la conception d’un monde nouveau régi par le soin, la solidarité et même la spiritualité, là où les possibilités sont encore multiples. 

Une minorité plus pessimiste accepte l’idée d’un “après”. Ces artistes se préparent déjà à la crise climatique, à la chute de la biodiversité et, par extension, l’extinction de l’espèce humaine. Actant leur impuissance face à ces changements, ils dessinent cependant une voie de résilience consistant à accepter enfin nos disparités, nos divergences et nos singularités pour créer de nouveaux imaginaires et modes de pensée.  

« Il ne suffit pas de faire les choses mieux, de manière plus durable, plus équitable… nous avons besoin d’une nouvelle façon de comprendre notre place dans le monde, et les arts sont un lieu privilégié pour y travailler. » – Daniel Steegmann Mangrané

Claire Vannaxay

en collaboration avec Pauline Lisowski, Aloïs Loizeau, Alice Audouin, Stefano Vendramin

Plus d’informations sur les artistes interrogés : Davide Balula, Bianca Bondi, Carolina Caycedo, FormaFantasma, Lonneke Gordijn (Studio Drift), Janet Laurence, Daniel Steegmann Mangrané, Haroon Mirza, Marie-Luce Nadal, Lucy Orta, Yan Wang Preston, Lionel Sabatté, Ugo Schiavi, Timur Si-Qin, Moffat Takadiwa, Michael Wang, Bo Zheng.

Couverture : Samur, Bo Zheng, 2023
Impact Art News, Jan-Fev 2024 #47

S’abonner à Impact Art News (gratuit): ici