Vous êtes une pionnière du lien entre l’art et l’environnement, notamment avec Vatnajökull (the sound of) créée en 2007 alors que vous étiez encore étudiante. Dans cette œuvre, vous avez connecté une ligne téléphonique à un glacier islandais. Toute personne pouvait appeler un numéro et entendre le son de la fonte du glacier. C’était une œuvre prémonitoire, la fonte de la banquise ne cessant de s’accélérer depuis, mobilisant les médias. Comment voyez-vous cette première œuvre aujourd’hui, près de quinze ans plus tard ?

C’est un projet qui me tient toujours à cœur. J’étais en dernière année à la Slade School of Art, à Londres, et c’était assez audacieux de vouloir faire cela en tant qu’étudiante, il fallait utiliser beaucoup de technologie et convaincre beaucoup de monde de s’impliquer avec moi. En 2007, on parlait de la fonte de la banquise, mais pas autant qu’aujourd’hui. En 2019, l’Islande a déclaré la mort de son premier glacier – Okjökull – en raison du changement climatique. Lorsque j’y suis retournée cet été, le changement était déjà très visible à l’œil nu.

Je m’intéresse à l’Anthropocène et je veux aller au-delà du simple fait de la rendre visible. Lorsque j’ai réalisé Vatnajökull (the sound of), mon objectif était de créer une connexion, littéralement, avec un glacier, par le biais d’un téléphone, et de permettre une expérience intime entre chacun et cet événement énorme, lointain et ancien. C’est une chose à laquelle je reviens toujours dans mon travail, essayer de créer un sentiment de connexion avec la nature, tout en étant conscient de la déconnexion en même temps. Cette contradiction est au cœur de ce que je fais. Je crois que nous sommes tous profondément interconnectés à la nature qui nous entoure, nous sommes faits de la même matière, des mêmes atomes. En même temps, nous vivons une période où la déconnexion semble plus grande que jamais.

Katie Paterson, Vatnajökull (the sound of), 2007/8 Photo © Katie Paterson, 2007

Toujours en ce qui concerne notre lien avec la planète, vous avez récemment organisé une exposition à la Galerie Ingleby, à Édimbourg, intitulée « Requiem ». Sur quoi portait cette exposition ?

Pendant trois ans, mon équipe et moi avons extrait des matériaux témoins des temps passés comme des reliques, que nous avons ensuite réduits en poussière. Une grande urne en verre trônait au centre de l’espace d’exposition et les visiteurs versaient cette poussière, couche par couche, au cours de l’exposition. La première couche était constituée de matériaux datant d’avant l’existence du soleil, les couches plus tardives concernent l’Anthropocène et en particulier l’époque après 1945, où nous assistons à une série d’événements dévastateurs. Par exemple, nous avons récolté de la trinitite provenant du premier site d’essai atomique au Nouveau-Mexique. La dernière couche provient de l’escargot Partula, une « espèce en voie de disparition », un terme beau mais triste car il désigne la dernière espèce vivante d’une lignée.

Requiem s’étend sur des milliards d’années et pose des questions difficiles. Je voulais réfléchir à la façon dont nous sommes arrivés là où nous en sommes aujourd’hui, et au fait que, au cours de notre seule vie – une minuscule fenêtre de temps – nous devons créer un immense changement pour éviter notre propre extinction.

Katie Paterson, Row of dust, Photograph: John Mckenzie, Courtesy of the artist and Ingleby Gallery, Edinburgh

Penser à des temps plus anciens me donne de l’espoir. En élargissant notre horizon temporel, nous pouvons mieux comprendre la situation dans laquelle nous trouvons. Je suis depuis toujours fascinée par les processus géologiques. Ils peuvent nous donner un sentiment d’enracinement et nous faire comprendre que le changement est au cœur de l’expérience humaine. La planète est en constante évolution. Cela étant dit, les changements actuels indiquent également que nous, les humains, sommes devenus une force géologique dominante. Nous avons modifié tant d’écosystèmes qu’ils ont atteint un point de non-retour. Nous devons rester optimiste, bien sûr, mais il est difficile de travailler dans ce domaine sans parfois fléchir de désespoir, étant donné la gravité de ce à quoi nous sommes confrontés.

En parlant de temps anciens et futurs, votre projet de cent ans Future Library à Oslo, en Norvège, a commencé en 2014. Chaque année, un écrivain de renommée apporte un nouveau manuscrit à la bibliothèque, où il sera stocké, non lu et non publié, jusqu’en 2114. Le papier de ces manuscrits provient de la forêt nouvellement plantée qui l’entoure. Ce projet semble plus optimiste que Requiem, s’adressant aux générations futures, mais peut-être pourrait-il aussi finir comme une archive de l’humanité ?

Lorsque nous avons lancé la Future Library, les questions qu’elle suscitait concernaient principalement l’avenir du livre papier et de la lecture numérique. Aujourd’hui, en 2022, le projet nous conduit à nous demander si les humains seront encore là pour lire des livres dans 100 ans. Margaret Atwood, qui a été le premier écrivain à contribuer au projet Future Library, l’a qualifié d’encourageant car il projette l’image de personnes lisant encore dans 100 ans. Pour moi, cela devrait être normal, pas porteur d’espoir, mais les choses ont changé, la place du livre a encore chuté depuis ces sept dernières années.

Quel est, selon vous, et si vous en avez un, votre rôle en tant qu’artiste face à ces immenses enjeux sociétaux et environnementaux ?

Je me demande souvent : « Qu’est-ce que je fais réellement en tant qu’artiste ? Est-ce que je peux faire plus de différence en travaillant, par exemple, comme écologiste ou activiste ? » À chaque fois, j’en reviens toujours au fait que ce que je peux faire de mieux est d’y répondre de manière créative. L’une des difficultés est que les données scientifiques et les statistiques, qui nous sont souvent présentées de manière assez froide, n’ont pas assez d’impact. Nous avons besoin de différents médiums pour appréhender ces questions. Je vois mon rôle comme celui d’un médiateur entre l’information et ce qu’elle signifie réellement pour nous, en tant qu’êtres humains, et notre place dans l’univers, évoquée à travers le prisme d’une expérience visuelle.

Katie Paterson, Future Library, Courtesy of the artist

Vous travaillez en ce moment sur une commande d’art public pour Apple.

Oui, ce sera à Cupertino, la ville où se trouve leur siège social, en collaboration avec Zeller & Moye architects. L’œuvre s’appelle Mirage et pour la réaliser nous avons rassemblé du sable de tous les déserts de la planète pour le transformer en colonnes de verre que les habitants et les visiteurs de la ville pourront traverser et avec lesquelles ils pourront interagir.

Avec ce projet, j’apprends que le nombre d’endroits qui se désertifient augmente à un rythme extrêmement rapide. Y compris en Italie, à Malte ou en Grèce, par exemple, qui ont des lieux sur le point d’être classés comme territoires désertiques. Perdre des endroits comme Madagascar à cause de la désertification est dévastateur car la biodiversité en jeu est encore plus importante qu’ailleurs.

Le secteur de l’art a une empreinte environnementale importante, ce qui constitue un nouveau dilemme pour de nombreux artistes. Comment intégrez-vous votre engagement environnemental dans votre propre pratique artistique ?

Mon studio et moi-même sommes très conscients des matériaux et des processus que nous utilisons, pour les œuvres elles-mêmes, mais aussi pour le conditionnement des œuvres et la façon dont elles sont expédiées. J’ai des idées de solutions plus écologiques, mais leur mise en œuvre aurait aussi un impact, la question est compliquée. J’espère que les jeunes artistes arriveront dans un monde où de plus en plus de matériaux durables seront accessibles, nous sommes enfin encore dans une période de transition.

Pour finir, que lisez-vous en ce moment ?

« On time and water » d’Andri Snær Magnason. C’est un livre brillant.

 

Conversation avec Stefano Vendramin

Juillet 2022

Photo : Katie Paterson Photo © Giorgia Polizzi, 2015

S’abonner à Impact Art News (gratuit): ici

Impact Art News, Octobre-Novembre 2022 #40