L’artiste américain et pionnier de l’art écologique Alan Sonfist (né en 1946 à New York) nous révèle le fil rouge de sa carrière artistique au long cours, de son oeuvre pionnière Time Landscape en 1965 à son nouvel engagement avec sa fondation Land Art Forward.
Art of Change 21 : Vous avez souvent évoqué votre lien émotionnel fort avec la forêt dans votre enfance. Comment s’est-il inscrit ensuite dans votre travail ?
Enfant, j’ai grandi à New York près de la forêt d’Hemlock. J’ai été témoin de sa destruction, par les incendies et son manque d’entretien. Malgré cette menace constante pesant sur sa survie, cette forêt était mon refuge – un lieu de réconfort, de sécurité et la source d’une profonde connexion avec le monde naturel. Mes premières peintures et dessins furent une sorte de journal visuel de mes expériences, capturant la beauté et la fragilité de cette forêt au gré des saisons. Je voyais les glands des arbres de mon enfance devenir de solides jeunes pousses, leurs feuilles tapissant le sol de la forêt, bercées par le vent. Un grand chêne revenait souvent dans mes rêves, symbole du lien profond que j’avais avec la forêt et ses habitants. Malgré cette quiétude, je ne pouvais ignorer l’avancée de la destruction de ce sanctuaire, due à l’indifférence et l’hostilité des humains. Plus tard, mon adolescence dans le sud du Bronx à New York a renforcé ma prise de conscience sur l’équilibre fragile entre le développement urbain et la nature. La destruction de la forêt provoquée par l’expansion implacable de la voie express qui traverse le Bronx, m’a profondément marqué. Observer les conséquences de l’aménagement urbain sur le paysage naturel a suscité chez moi une tristesse immense, ce qui est devenu un thème central dans mon œuvre.
Alan Sonfist, Earth Monument to Chicago, Forages naturels dans la terre, Musée d’Art Contemporain de Chicago
Votre œuvre Time Landscape, une forêt créée en 1965 alors que vous n’aviez pas encore vingt ans, reste un exemple inégalé d’art écologique. Cette forêt urbaine new-yorkaise composées de plantes natives, est aujourd’hui « redécouverte » à la lumière du mouvement environnemental grandissant. Comment vous-même voyez-vous Time Landscape aujourd’hui ?
À l’âge de dix-huit ans, je me suis lancé dans l’ambitieux projet de créer Time Landscape avec le soutien du Metropolitan Museum of Art (Met) grâce à Ted Rousseau, adjoint au directeur et qui partageait avec moi une passion pour la nature. La concrétisation de ce projet était un défi colossal. J’ai constitué une équipe d’experts, incluant des architectes et des scientifiques de divers domaines du Massachusetts Institute of Technology. Ensemble, nous avons minutieusement choisi des espèces comme le chêne, le cornouiller et le viorne pour peupler ce paysage. Comme il n’existait aucun cadre dans les années 1960 pour créer une forêt urbaine, cette collaboration était d’autant plus cruciale pour imaginer une expérience immersive reflétant la richesse de la biodiversité d’une forêt naturelle.
Malgré les doutes initiaux quant à la possibilité de recréer un écosystème, Time Landscape a dépassé toutes les attentes et a prospéré. Ce projet est devenu un monument vivant, rendant hommage au paysage amérindien qui existait avant la colonisation européenne, soulignant l’importance de préserver notre patrimoine naturel.
La réalisation de Time Landscape n’aurait pas été possible sans le soutien de Jane Jacobs, pionnière de l’écologie, activiste et théoricienne urbaine. La désignation de Time Landscape comme site historique par Henry Stern, commissaire aux parcs de New York, en 1999 a marqué une étape majeure, affirmant son importance culturelle et écologique. Cette reconnaissance a inspiré des efforts similaires pour réhabiliter des habitats naturels en milieu urbain.
Bien que je revisite occasionnellement Time Landscape pour me reconnecter à mon œuvre, je suis conscient de l’équilibre fragile entre l’interaction humaine et l’intégrité des écosystèmes. Même si cette œuvre reste mon projet et ma vision, je pense qu’il est important de promouvoir un sentiment de responsabilité collective chez les visiteurs. Time Landscape rappelle de façon poignante la fragilité de la nature et l’urgence de la conservation. C’est un témoignage vivant de l’interconnexion entre toutes les formes de vie. Elle offre aux visiteurs la possibilité de s’immerger dans la biodiversité et les invite à réfléchir aux relations complexes qui soutiennent les écosystèmes. Sa présence dans un cadre urbain soulève des questions cruciales sur le rôle de la nature dans la planification des villes. La répartition des ressources pour maintenir les espaces verts, protéger les espèces indigènes et intégrer des pratiques durables dans le développement urbain sont autant de questions intrinsèquement politiques.
Alan Sonfist, Time Landscape, Arbres indigènes, terre, prairie ouverte, 1965 – aujourd’hui
Vous utilisez souvent le terme de « magie » pour décrire vos œuvres, comme si les forces de la nature étaient une source infinie d’émerveillement. Que signifie ce mot pour vous ?
Les origines de l’art, pour moi, remontent à des sites ancestraux comme Lascaux, où les peintures rupestres de nos ancêtres témoignent de leur lien profond avec le monde naturel. D’une certaine manière, je me considère comme un chaman contemporain, canalisant la sagesse ancestrale et puisant l’énergie primitive de la terre dans mon art. Bien que je ne soigne pas les humains au sens traditionnel, je me suis engagé dans une autre forme de guérison, tournée vers la restauration de l’équilibre et de l’harmonie de la planète
Au cœur de mon art, il y a cette volonté de servir de canal pour l’esprit de la terre, de transmettre son énergie et sa vitalité à ceux qui interagissent avec mes créations. En puisant dans la sagesse ancienne de nos prédécesseurs et en honorant le caractère sacré du monde naturel, je souhaite inspirer d’autres personnes à se joindre à moi dans cette tâche urgente de soigner notre planète et de protéger ses écosystèmes pour les générations futures.
J’ai créé de nombreuses œuvres in situ dans le monde entier, des puissantes évocations de la nature visant à mettre en lumière sa poésie. Par exemple, mon installation Birth by Spear en Toscane, en Italie, incarne cette intention. Mes soixante années de travail n’ont été possibles que parce que la nature a toujours été pour moi une source constante de paix et d’apprentissage. Une autre de mes installations, Time Capsule of Ancient Forest à Anvers en Belgique, créée à partir de 2015 pour la Fondation Verbeke, explore le concept plus futuriste d’une nature préservée dans une capsule. J’aime cette image de l’humanité, comme Noé, préservant la nature pour la transmettre aux générations futures.
Alan Sonfist, Birth by Spear (Minerva thrust the spear and gave birth to the Olive Tree), Plantes indigènes, tuiles en terre cuite, acier inoxydable, 2010, Toscane, Italie
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je viens de présenter une installation à Art Basel Miami en décembre, à la fois une installation spécifique et une expérience. Il s’agit d’une œuvre collaborative intitulée Rebirth in the Inferno. Je l’ai conçue comme un message adressé aux collectionneurs et aux visiteurs. Encore une fois, étant engagé dans la cause environnementale, j’ai voulu présenter des fragments d’une forêt brûlée et leur donner une présence significative dans l’espace. En marchant autour, on peut vraiment sentir la tension et les énergies qui s’en dégagent. La vie est toujours là, sous une forme différente et c’est notre mission de la protéger.
Avant cela, j’étais à Paris où j’ai présenté une exposition personnelle intitulée « Songes Telluriques » à la Galerie Devals, qui se concentrait sur une période spécifique de mon travail, de 1965 à 1975. L’exposition présentait des pièces explorant les qualités souterraines de la terre et de ses énergies. Je me concentre actuellement sur un projet majeur : une installation que j’ai créée pour le Parrish Museum dans les Hamptons.
À propos de cette idée de collaboration, vous avez également fondé Land Art Forward, une fondation dédiée et un espace de collaboration d’artistes entièrement consacré à l’environnement. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Avec des scientifiques, des conservateurs et des défenseurs du mouvement écologique, j’ai fondé une organisation intitulée Land Art Forward. Notre objectif est de réunir artistes et scientifiques pour relever ce que je considère comme le plus grand défi de l’humanité : la crise climatique. Notre première initiative a été un symposium organisé en collaboration avec le programme Art, Culture et Technologie du MIT.
Pour moi, l’art est un moyen de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Ma mission, à l’avenir, est de soutenir et de mentorer les artistes émergents engagés dans l’écologie, afin de les aider à aborder les problématiques environnementales urgentes de notre époque.
Auteur : Lorenzo Beatrix
Image de couverture: Alan Sonfist in Time Landscape, Photo: John Taggart
Images de l’article crédits Alan Sonfist et Alan Sonfist Studio
Impact Art News, novembre-décembre-janvier #51
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