En ce printemps 2023, la scène artistique française se révèle plus que jamais impliquée dans les grands enjeux environnementaux de son temps. Après un hiver marqué par des phénomènes climatiques inquiétants comme la sécheresse hivernale et, côté artistique, par l’ouverture de l’exposition de Fabrice Hyber à la Fondation Cartier, le printemps démarre avec de nombreuses expositions collectives et individuelles, proposées par les centres d’art, les fondations, les galeries mais aussi des abbayes hexagonales !
La dynamique des grandes expositions thématiques amorcée en 2022 avec « Réclamer la terre » au Palais de Tokyo et « Novacène » à la Gare Saint Sauveur à Lille se poursuit avec une saison qui confirme l’importance de la scène française en matière d’art et environnement. 

La Bourse du Commerce annonce la saison

Le 8 février 2023, la météo de la Collection Pinault prévoyait un « Avant l’orage ». Depuis, à la Bourse de Commerce, les symptômes de la crise écologique et climatique y sont auscultés : cataclysmes chimiques, saisons brouillées, forêts malades, paysages désertiques… Dans un accrochage poignant, les artistes (Dineo Seshee Bopape, Tacita Dean, Jonathas de Andrade, Pierre Huyghe, Daniel Steegmann Mangrané, Diana Thater, Thu Van Tran, Danh Vo, Anicka Yi…) reviennent sur des tragédies humaines et écologiques comme l’utilisation de l’agent orange au Vietnam ou les accidents nucléaires, pour défendre une nouvelle relation entre l’humain à l’environnement. La directrice de la Collection Pinault Emma Lavigne confirme son engagement, après « Sublime » en 2016 et « Réclamer la terre » en 2022 au Palais de Tokyo sous sa présidence (commissariat Daria de Beauvais). 

(À gauche) Vue de l’exposition « Avant l’orage », Bourse de Commerce, Paris, 2023, Daniel Steegmann Mangrané. © Art of Change 21  (À droite) Vue de l’exposition « Symbiosium – Cosmogonies Spéculatives », Fondation Fiminco, Romainville, 2023 © Maurine Tric

La Fondation Fiminco à Romainville accueille le Centre Wallonie-Bruxelles et l’exposition collective « Symbiosium – Cosmogonies Spéculatives » depuis le 18 mars dernier. Conçue autour du thème de la symbiose par ses commissaires Christopher Yggdre (également directeur de la Fondation LAccolade) et Stéphanie Pécourt, l’exposition est pensée comme un manifeste et un centre expérimental vivant. Des débats, des performances et des créations d’œuvres in situ sont confiés à nombreux jeunes artistes déjà engagés sur le thème du vivant, comme Fabien Léaustic, Marie-Luce Nadal*, Charlotte Gautier Van Tour, Caroline Le Méhauté, Marie-Sarah Adenis, Jérémy Gobé*, Eugénie Touzé ou Côme Di Meglio*. 

Troisième exposition collective phare du printemps, la nouvelle Saison d’Art de Chaumont-sur-Loire, qui célèbrera à partir du 1er avril le travail de 15 artistes réunis autour des thèmes de la nature et de l’onirisme, dans le cadre d’un parcours au sein des espaces d’expositions et du parc. Minoritaire au sein d’une liste très masculine d’artistes phares comme Fabrice Hyber, Lee Ufan ou encore Lionel Sabatté, Claire Morgan comptera parmi les propositions féminines à ne pas manquer.

Si elle ne dure que quelques jours, la foire Art Paris, sous le commissariat de Guillaume Piens, ne manque pas de présenter plusieurs artistes liés aux thèmes de l’environnement, dont des talents émergents. Notons Lélia Demoisy à la Galerie By Lara Sedbon (dirigée par Hélène Geber, ex directrice de la Galerie Sono), Suzanne Husky chez Alain Gutharc, Vincent Laval* chez Bertrand Grimont, Quentin Derouet chez Pauline Pavec, ou encore le légendaire NILS-UDO à la fois chez Pierre-Alain Challier et dans l’espace VIP Ruinart (artiste invité en 2022). 

Des expositions personnelles qui invitent à une nouvelle relation avec le vivant 

La force de l’engagement des artistes se déploie à travers la France et transcende les pratiques artistiques. De ces initiatives individuelles se dégage une énergie collective qui contribue à la transition écologique par l’imaginaire et le sensible. 

Chimères, corrosion et matières dévalorisées : telle est l’inflection artistique de l’exposition « Pollens Clandestins » de Lionel Sabatté, tapie entre la faune et la flore du Domaine national de Chambord du 14 mai au 14 septembre 2023. Là, 150 œuvres entremêlent le rapport intime de l’artiste à la nature, à l’animal, mais surtout à l’idée de la renaissance. Parmi ces œuvres, une chouette-grotte monumentale, cache un silex préhistorique. L’artiste a invité bien d’autres clandestins que le pollen. 

Plus au Sud, Julia Gault allie les forces contradictoires qui ont traversé l’Abbaye du Thoronet. « Fossilis, Ce que l’on tire de la terre » qui se tient jusqu’au 28 mai 2023 croise l’histoire de l’abbaye et celle de l’extraction de la bauxite à proximité qui menaça l’édifice religieux d’effondrement en 1975.

Suzanne Husky, Le son d’une nouvelle cascade, film, 32 minutes, 2022.

À l’Est, « La Parabole de Bièvre », exposition personnelle de Suzanne Husky au Centre régional d’art contemporain de Montbéliard, propose depuis le 18 février de mieux connaître les zones humides et l’état des cours d’eau en France grâce à un «animal hydrologue » : le castor. L’artiste qui vient de recevoir le Prix Drawing Now 2023 (une belle surprise pour celle qui se défend de savoir bien dessiner !) ouvre également le 1er avril une autre exposition personnelle sous le commissariat de Julie Sicault Maillé au Centre d’art de la ville de Houilles : « Ce que tu cherches te cherche aussi ». 

Plus proche de la frontière allemande, l’exposition « Alchimia Nova » de l’artiste belge Anne Marie Maes se tient à la Kunsthalle de Mulhouse jusqu’au 30 avril. Pensée autour de Lab for Form & Matter, une œuvre-laboratoire-atelier d’artiste, l’artiste a conçu son exposition comme un espace de restitution de ses recherches artistiques autour des micro-organismes des terres alsaciennes. 

Enfin, en Martinique, Louisa Marajo vient d’inaugurer le 20 mars son exposition « An dlo sargas viré ! ». Son installation monumentale conçue comme un vortex, entrecroise enjeux sociaux, environnementaux, locaux et globaux, liés aux sargasses. Provoquées par l’exploitation humaine, polluant la mer à leur tour, ces algues proliférantes sont aussi porteuses de résilience et démontrent la complexité du rapport de l’humain à son environnement. Cette oeuvre fait par ailleurs l’objet d’une analyse de cycle de vie, dans le cadre du Prix Art Eco-Conception d’Art of Change 21** dont Louisa Marajo est lauréate. 

Échafaudage de nos consciences, vue de l’exposition « An dlo sargas viré ! », Atrium Tropiques, Louisa Marajo, 2023 © Louisa Marajo & ADAGP

Parmi les autres expositions personnelles de la saison, citons également « Pas de cerise sans noyau » de l’artiste Ju Hyun Lee au Centre régional d’art contemporain de Montbéliard (jusqu’au 30 avril), « Emprunt lointain » du duo Ouazzani et Carrier* au musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq de L’Isle-Adam (jusqu’au 17 septembre 2023) ou encore « Renée » de Marie Denis à La maison de Chateaubriand (jusqu’au 24 mars 2024).

Les galeries font éclore les talents engagés 

Du côté des galeries, l’exposition collective « Bittersweet Symphony », à la galerie Mor Charpentier, qui se termine le 8 avril, s’intéresse à la notion de dysanthropie. À travers les œuvres de Lara Almarcegui, Bianca Bondi et Daniel Otero Torres, l’exposition explore le motif de l’absence, de la disparition de la présence humaine, perçu comme une conséquence, peut-être inévitable, des enjeux environnementaux contemporains.

À la Zoo Galerie de Nantes, l’exposition « Vos poubelles sont nos citadelles » de l’artiste Laurent Tixador dresse un état des lieux de notre gaspillage dans nos sociétés contemporaines, transformant subrepticement nos territoires en un vaste dépotoir de détritus plastiques et de métaux usagés. Dans une logique de sobriété, l’artiste s’évertue à transformer ces déchets laissés à l’abandon en véritables citadelles. 

La galerie Paris B présente une exposition de l’artiste chinois Yang Yongliang, « Imagined Landscape ». Elle réunit jusqu’au 22 avril prochain, un ensemble de nouvelles photographies et installations vidéo de l’artiste formé à la peinture traditionnelle chinoise, qui confronte l’urbanisation aux paysages ruraux traditionnels pour mieux dénoncer une accélération urbaine dévastatrice. 

La galerie Carole Lambert accueille jusqu’au 24 mai 2023 le solo show de Jonathan Bréchignac* « Stone » avec une série de sculptures de géologie psychédélique Alien Rocks. Il s’agit de la seconde exposition personnelle en galerie de l’artiste, qui joue des frontières entre le naturel et l’artificiel.

       Rolling Figures 1.0, Malala Andrialavidrazana, 2022 © Malala Andrialavidrazana

Enfin à Marseille, si La Traverse se déclare être une “maison-outil” plus qu’une galerie, c’est bien une ancienne galeriste, Catherine Bastide, qui a pensé ce lieu qui accueillera « Mers, Terres et Corps traversés » le 28 avril prochain. Cette exposition collective réunira les oeuvres des artistes Malala Andrialavidrazana, Francis Alÿs, Shivanjani Lal, Louisa Marajo, Tuli Mekondjo ou Otobong Nkanga autour des thèmes des déplacements des populations causés par le réchauffement climatique et les conflits. 

Restons à Marseille, deuxième capitale artistique française, pour terminer ce tour des expositions en France. La Friche de la Belle de Mai rassemble jusqu’au 27 mai les associations environnementales locales luttant contre la pollution marine, les “upcycleurs” de déchets plastiques et les artistes contemporains dans « Plasticocène ». Parmi les artistes exposés, citons Elvia Teotski*, Côme Di Meglio*, Maxime Verret, Marion Flament ou encore le Museo Aero Solar (communauté Aérocène). Accompagnés des associations MerTerre et Polymer, ces derniers ont pensé leurs créations comme le symbole d’une régénération de la planète bleue en déconstruisant notre rapport au plastique.
Cette collaboration multi parties-prenantes démontre que les artistes décloisonnent leur pratique et prônent les approches collectives. Les artistes se trouvent aujourd’hui “embarqués” au sens d’Albert Camus, dans une époque qui les transforme et leur donne envie d’agir. 

Alice Audouin, Louise Verdier, Alexandre Pastor
avec la collaboration de
Pauline Lisowski

* lauréat.es du Prix d’Art of Change 21 (Planète Art Solidaire, 2021)
** éditeur de la lettre Impact Art News

Visuel de couverture : Vue de l’exposition « Avant l’orage », Bourse de Commerce Paris, 2023, Anicka Yi © Art of Change 21

Impact Art News, Février-Mars 2023 #42

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Expositions citées dans l’article :

La vallée, Fondation Cartier, Paris, du 8 décembre 2022 au 30 avril 2023

Avant l’orage, Bourse de commerce, Paris, du 8 février au 11 septembre 2023

Symbiosium-Cosmogonies Spéculatives, Fondation Fiminco, Romainville, du 17 mars au 6 mai 2023

Saison d’art 2023, Domaine de Chaumont-sur-Loire, Chaumont-sur-Loire, du 1er avril au 29 octobre 2023

ART PARIS, Grand Palais Ephémère, du 30 mars au 2 avril 2023

Pollens clandestins, Domaine National de Chambord, Chambord, du 14 mai au 17 septembre 2023

Fossilis – ce que l’on tire de la terre, à Abbaye du Thoronet, Thoronet, du 4 février 2023 au 28 mai 2023

La Parabole du Bièvre, Le 19 CRAC, Montbéliard, du 18 février au 30 avril 2023

Alchimia Nova, Kunsthalle Mulhouse, Mulhouse, du 17 février au 30 avril 2023

AN DLO SARGAS VIRÉ !, Atrium Tropiques, Fort-de-France, Martinique, du 20 mars au 14 avril 2023

Pas de cerise sans noyau, exposition personnelle de Ju Hyun Lee à le 19 CRAC, Montbéliard, du 17 février au 30 avril 2023

Emprunt Lointain, musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq de L’Isle-Adam, du 2 avril au 17 septembre 2023

Renée, Maison de Chateaubriand, Châtenay-Malabry, du 24 mars au 23 mars 2023

Bittersweet Symphony, Mor Charpentier, Paris, du 11 mars au 8 avril 2023

Vos poubelles sont nos citadelles, Zoo Nantes, Nantes, du 3 mars au 17 mai 2023

Imagined Landscape, Paris B, Paris, du 11 mars au 22 avril 2023

Stone, Galerie Carole Lambert, Paris, du 30 mars au 24 mai 2023

Mers, Terres & Corps traversés, La Traverse, Marseille, du 28 avril au 21 mai 2023

Plasticocène, Friche de la Belle de Mai, Marseille, du 16 février au 27 mai 2023

 

Autres expositions à voir également : 

Dans l’épaisseur de nos lisières là où naissent les dragons, exposition collective, Domaine départemental de Chamarande, du 15 avril au 15 octobre 2023

Toucher terre, exposition collective à l’Espace Monte-cristo, du 15 avril au 17 décembre 2023

Penser comme une montagne, exposition collective, Creux de l’Enfer et au Château de Goutelas, du 7 avril au 17 septembre 2023

Les cloches de Fontevraud, du prisme contemporain à l’histoire monastique, exposition collective, Abbaye de Fontevraud, du 14 avril au 19 septembre 2023

Répliques, exposition personnelle de Manuela Marques, Galerie Anne Barrault, du 4 mars au 16 avril 2023

8 BPM (experiments with time), exposition personnelle de Simon Faithfull, Galerie Polaris, du 11 mars au 15 avril 2023

Grey Gardens, exposition personnelle de Nona Inescu, Centre d’art de Saint-Fons, du 11 mars au 24 avril 2023

L’île intérieure, exposition collective, Fondation Carmignac, du 29 avril au 5 novembre 2023

Enchant-Temps : Habiter la Terre – Archéologie Intérieure, exposition collective, Galerie Jeanne Bucher Jaeger, du 4 février au 3 mai 2023

Les alchimistes du sensible, exposition collective, FISH EYE Gallery, du 9 mars au 6 mai 2023

Dans l’air, Michihiro Shimabuku au Hangar Y, du 22 mars au 11 septembre 2023 

Wormhole, exposition personnelle de Max Fouchy, Galerie 22,48 m², du 16 mars au 6 mai 2023

Rituels pour un nouveau monde, exposition collective, Lafayette Anticipations, du 15 février au 17 mai 2023

Garden Party, exposition collective, Galerie porte B, du 18 mars au 20 mai 2023

Le plat principal, exposition personnelle de Magali Reus, CAC La synagogue de Delme, du 11 mars au 4 juin 2023

Le paradis dans une fleur sauvage, exposition personnelle de Denis Brihat, Espace photographique Arthur Batut, Labruguière, du 16 mars au 18 juin 2023

Sans mémoire, exposition personnelle d’Edi Dubien, Rurart, du 16 mars au 25 juin 2023

Le centre d’art coupe ses fluides, exposition-performance, Maison des arts de Malakoff,  du 12 février au 8 juillet 2023 

A main basse, l’oreille tendue, exposition personnelle du Duo Evernia*, Le Résidence, Dompierre-sur-Besbre, du 8 avril au 13 mai 2023