L’actualité hivernale des expositions en France offre un moment précieux pour appréhender les bouleversements écologiques en cours et pour découvrir l’engagement toujours croissant des artistes envers l’environnement et la nature. Tandis que les institutions culturelles interrogent leurs pratiques, comme le musée d’art moderne avec le programme « Décroître est un moment de création », les galeries inaugurent joyeusement un nouveau chapitre de l’histoire de l’art, avec par exemple les nouvelles perspectives du chercheur Guillaume Logé. Les nombreuses expositions en cours invitent à consolider un être au monde riche d’interdépendances afin d’affronter ensemble les turbulences à venir.

 

 

L’immersion dans le territoire, comme point de départ

Une nouvelle génération d’artistes attentifs au monde qui les entoure annonce un art de la relation, de la présence au monde. Le duo G&K (Katarzina Kot et Stéphane Guiran) entrent en connexion, en dialogue avec des Grands Vivants et présentent à la galerie Pierre-Alain Challier leur expérience avec le glacier Vatnajökull. Leur manière de vivre le lieu façonne un processus de création de l’ordre de la reliance. Au Drawing Lab, Paris,Noémie Sauve en association avec la curatrice Anne de Malleray, présente ses œuvres réalisées suite à son expédition à bord du bateau Tara et sur l’île de Vulcano, en Italie. Jean-Baptiste Perret1 enquête sur des êtres solidaires du vivant. Ses trois films, suite à son travail sur les Gorges de l’Allier, sont diffusés à la galerie Salle Principale, Paris, point de rencontre et départ de leur collaboration. Dirigeons nous vers la Haute-Savoie. Au Point Commun à Annecy, depuis le 25 novembre, Julia Gault présente 1387 jours, un travail artistique qui annonce une menace imminente, celle de l’assèchement du lac d’Annecy.  A Annemasse, à la villa du parc, le cycle de l’eau constitue également l’objet du travail artistique d’Eric Giraudet de Boudemange, qui fut en résidence de recherche en 2022. Au centre d’art, les visiteurs sont plongés dans un environnement total propice à recevoir les vertus de l’eau sur le corps. Ces expériences sur le terrain sont symptomatiques d’une nécessité de prendre le temps d’accueillir la parole d’un territoire.

© G&K (Stéphane Guiran et Katarzyna Kot) Grand Vivant, le glacier de Vatnajökull en Islande

Matériaux naturels, symbiose, cueillette et expérience du paysage

Dans le flux d’une mouvance de galeristes de plus en plus touchés par les problématiques environnementales, la galerie Jeanne Bucher Jaeger déploie, depuis le 4 février 2023, un cycle de trois expositions autour de l’enchantement, du temps, de l’environnement, du paysage et de la trace. Actuellement, est exposé le projet monumental Les Yeux du Ciel d’Antoine Grumbach, artiste architecte. Même chose pour la Galerie Jousse Entreprise, qui a donné cette fois carte blanche à Guillaume Logé pour une exposition manifeste, « Renaissance sauvage : la perspective symbiotique ». L’historien de l’art contribue à un terreau fertile de réflexions artistiques et philosophiques sur notre sensibilité au vivant. Réunissant les œuvres du duo Art Orienté Objet, de Michel Blazy, Jérémy Gobé2, Chloé Jeanne 3, entre autres, celle-ci se constitue et prend le parti de symbioses propices à la création contemporaine.

Depuis le 23 novembre, Lélia Demoisy a investi la galerie By Lara Sedbon, elle aussi fortement axée sur les thématiques environnementales, avec un nouvel ensemble d’œuvres où se joue une relation entre végétal et animal, le cycle de la vie, les marques laissées sur le bois. La directrice de cette galerie Hélène Geber, est aussi la commissaire de «  Hodos », à la galerie Graf Notaires, une exposition où elle a invité, entre autres, Mathilde Cazes, Snezana Gerbault, Vincent Laval4 Wiktoria5)

Également à Paris, ouverte le 9 décembre, l’exposition Nos natures de Marie Denis se déploie dans deux espaces de la galerie Alberta Pane, avec d’un côté, des œuvres récentes ou revisitées : une nature intranquille, fragile, et de l’autre, un film réalisé en collaboration avec le cinéaste et artiste Vladimir Vatsev. Là encore, les artistes font confiance aux rencontres.

Vue de l’exposition, « Renaissance sauvage : la perspective symbiotique » @ Max Borderie

Relations au non-humain, animal et végétal, à la terre

Des gestes envers les matières naturelles, ces nouvelles attitudes artistiques, nous mènent vers une connexion au vivant non-humain. A la galerie Karsten Greve, Claire Morgan présente pour la première fois un travail où la figure humaine apparaît en relation avec des animaux morts. Nos considérations pour le règne végétal continuent également d’être interrogées par les artistes. Mehdi-Georges Lahlou propose, au Centre d’art Le Parvis, à Tarbes, l’exposition La conférence des palmiers. Jean-François Krebs entrevoit une possible fusion entre l’humain et le végétal. Kommet à Lyon, accueille ses derniers travaux. Pauline Oliveros inaugure quant à elle un nouvel espace à la fondation Ricard et nous invite à écouter les profondeurs de la terre. L’artothèque de Caen accueille le projet au long cours de Suzanne Husky :  une expérience de réhabilitation des castors dans des zones humides. Ce mouvement de collaboration avec des êtres vivants continue de s’amplifier. Suivant la voie ouverte des recherches entreprises par une génération de curateurs, le 20 janvier, l’exposition « En poussière », curatée par Adrianne Beguin à la Graineterie, Houilles, réunira Lucie Douriaud6 et Dominique Ghesquière. Voilà qu’une nouvelle année à venir s’annonce prometteuse de changements.

Vue de l’exposition, I only dared to touch you once I knew that you were dead, Claire Morgan, ©Galerie Karsten Greve

Ainsi, de nouvelles méthodes de création émergent, l’association avec le vivant prend de plus en plus d’importance et des territoires se trouvent nouvellement connotés. D’autres définitions du paysage comme sujet d’attention apparaissent tandis que la parole est donnée aux plantes et aux animaux. En faisant l’expérience d’œuvres d’une génération de jeunes artistes ainsi que d’autres dont la démarche artistique est pionnière, des sensations prédisent l’ère du Symbiocène, telle que l’envisageait Glenn Albrecht.

Pauline Lisowski

Décembre 2023

Liste des expositions citées dans l’article

La nuit est une page blanche, Stéphane Guiran Katarzyna Kot, Galerie Pierre-Alain Challier, Paris, du 04/11/23 au 13/01/24

Sous les radars, Jean-Baptiste Perret, galerie Salle Principale, Paris, du 17/11/23 au 27/10/24

Admiratio, Noémie Sauve, Drawing Lab, Paris, du 14/10/23 au 07/01/24

Renaissance sauvage : la perspective symbiotique, exposition collective, galerie Jousse Entreprise, Paris, du 18/11/23 au 13/01/24

1387 jours, Julia Gault, Le point commun, Annecy, du 25/11/23 au 10/02/24

4 Rivières, Eric Giraudet de Boudemange, Villa du Parc, Annemasse, du 10/10/23 au 21/01/24

Enchan-Temps : Les Yeux du Ciel, Antoine Grumbach, galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris, du 16/09/23 au 15/01/24

Hodos, exposition collective, galerie Graf Notaire, Paris, du 19/09/23 au 23/02/24

CASTOR, L’AMANT DE LA RIVIÈRE, Sortir de son lit et goûter le monde, Suzanne Husky, Artothèque de Caen, du 04/11/23 au 03/02/24

Dent creuse et peau neuve, Lélia Demoisy, galerie By Lara Sedbon, Paris, du 23/11/23 au 13/01/24

Nos natures, Marie Denis, galerie Alberta Pane, Paris, du 09/12/23 au 10/02/24

I only dared to touch you once I knew that you were dead, Claire Morgan, galerie Karsten Greve, Paris, du 04/11/23 au 06/01/24

La conférence des palmiers, Mehdi-Georges Lahlou, Centre d’art Le Parvis, Tarbes, du 22/11/23 au 27/01/24

TRANS*-ANÉTHOL, Jean-François Krebs, Kommet, Lyon, du 1er/12/23 au 2/02/24

Earth Ears : Ecouter la Terre, Pauline Oliveros, Fondation Ricard, Paris, du 22/11/23 au 27/04/24

En poussière, Dominique Ghesquière et Lucie Douriaud, Centre d’art La graineterie, Houilles, du 20/01/24 au 03/03/24

Autres expositions à voir :

être rares, Giulia Cenci, CAP Saint-Fons, du 02/12/23 au 10/02/24

Anna, the Jester et les monstroplantes, Anna Hulačová / Julie Béna, CEEAC, Strasbourg, du 7/10/23 au 14/01/24

L’écorce, June Crespo, Mathilde Rosier et Ana Vaz, Crac Alsace, Altirch, du 15/10/23 au 14/01/24

Inventaire Utopiste, Marie Lukasiewicz, Lumière d’encre, Ceret, du 28/10/23 au 6/01/24

Aimons-nous vivants, Carole Benzaken, Ursula Caruel, Claude Como, Safia Hijos, etc, Galerie Clémence Boisanté, Montpellier, du 23/11/23 au 6/01/24

La quête des lucioles, Marion Artense Gély, Galerie Myriam Chair, Paris, du 30/11/23 au 20/01/24

Premières aspérités, Sylvain Le Corre, Le radar, Bayeux, du 25/11/23 au 7/01/24

Combler le jour, Marion Flament, galerie Romero Paprocki, Paris, du 25/11/23 au 11/01/24


Visuel de couverture : Vue de l’exposition de
Dent creuse et peau neuve de Lélia Demoisy, Galerie By Lara Sedbon, crédit photo : Lélia Demoisy

Impact Art News, Nov-Déc 2023 #46

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