En 2022, le monde de l’art, tout juste remis de la pandémie, s’est emparé de plus belle de la question du réchauffement climatique. Dans le contexte d’une société civile en colère, symbolisée par les interventions de Just Stop Oil dans les musées, 2022 a été une année charnière, avec de nombreux nouveaux engagements environnementaux pris par les institutions artistiques, comme la récente certification carbone de la Biennale de Venise, ainsi qu’une programmation artistique intégrant davantage ces nouveaux enjeux.
2023 s’annonce comme une accélération de la dynamique de l’année précédente. Le thème de l’environnement est présent dans de nombreuses biennales et expositions, et une source d’inspiration pour un nombre croissant d’artistes.
Du musée Jumex à Mexico à la Biennale de Gwangju en Corée du Sud, l’année s’annonce riche, autour d’artistes comme Otobong Nkanga, Haroon Mirza, Alfredo De Stefano et bien d’autres qui, avec les institutions, les commissaires et les galeries, répondent de différentes manières à l’urgence environnementale.

FOIRES ET BIENNALES

La Biennale de Gwangju ouvrira cette année ses portes le 7 avril avec un programme dédié à l’eau. Organisée par le conservateur en chef de la Tate Modern, Sook-Kyung Lee, la 14e édition de cette biennale située en Corée du Sud a pour titre « Soft and tender like water » inspiré des philosophies du Tao Te Ching de Laozi. Le programme sera divisé en quatre thèmes : Luminous Halo, Ancestral Voices, Transient Sovereignty et Planetary Times (Halo Lumineux, Voies ancestrales, Souveraineté transitoire et Temps Planétaires) et comprendra plus de 80 artistes internationaux.

Le premier événement phare de l’année aux États-Unis est le « LA Art Show », qui se tiendra au Los Angeles Convention Center du 15 au 19 février. Cette foire, parmi les plus anciennes de la ville, consacrera une section entière au changement climatique, avec le réseau d’institutions composant DIVERSEartLA, qui implique des musées, comme le Museum of Latin American Art, ainsi que des organisations culturelles et des organismes à but non lucratif. La commissaire de DIVERSEartLA, Marisa Caichiolo annonce : « Comment naviguons-nous dans ces changements que nous avons provoqués, où pouvons-nous avoir des impacts positifs… et où trouver de l’espoir ? » Toujours dans le cadre du programme DIVERSEartLA, l’AMA | Art Museum of the Americas de Washington DC présentera une expérience immersive de l’artiste mexicain Alfredo De Stefano. Comptant parmi les plus importants artistes contemporains au Mexique, il crée des photographies qui documentent une prophétie, dans toute sa fascinante et terrible beauté : notre planète comme terre désertique, résultat de l’influence climatique de l’homme.

Alfredo De Stefano, « Bleeding Tree » © Alfredo De Stefano, 2014

En Californie également, l’édition 2023 de Desert X, dans la vallée de Coachella, débutera le 4 mars. Avec le titre choc « Contrary to the archetype, a desert is not defined by the absence of water: the desert landscape is formed by the memory of water », l’événement annonce son centre d’intérêt : la pénurie d’eau, à la fois dans le paysage aride du désert, et au-delà, dans un contexte de changement climatique. Le directeur artistique Neville Wakefield et la co-conservatrice Diana Campbell ont été inspirés par les mythologies du désert, et plus particulièrement par la façon dont leurs habitants et la nature survivent dans ces conditions extrêmes. L’un des nombreux défis de ce projet sera de ne pas « magnifier cette résistance » et de travailler avec des artistes et des conteurs pour documenter les problèmes actuels liés à l’eau.

MUSÉES ET INSTITUTIONS

L’un des événements les plus passionnants à venir en 2023 est le World Weather Network : un réseau d’artistes et d’institutions dans 27 pays qui activera une série d’œuvres d’art, d’expositions et de conférences axées sur le climat tout au long de l’année dans différents endroits du monde. Le projet a été lancé en 2021 par Michael Morris et James Lingwood, directeurs de l’organisation londonienne Artangel, dans le but de combiner les connaissances des scientifiques et l’imagination des artistes afin d’approfondir les données climatiques. Au cœur du réseau se trouve un hub en ligne où les projets peuvent être expérimentés sans les coûts environnementaux des voyages. Le projet inclut des noms connus tels que Liam Gillick, Katie Paterson et Hiroshi Sugimoto, mais aussi des artistes moins connus et des chercheurs d’autres domaines.

L’artiste Otobong Nkanga présente une nouvelle exposition personnelle, « Gently basking in debris » sera inaugurée le 3 février à la Gordon Contemporary Artists Project Gallery, qui fait partie du Frist Art Museum de Nashville, et durera jusqu’au 23 avril.

Otobong Nkanga, « Gently basking in debris » © Frist Art Museum, 2023

Le 27 janvier, l’Armory Center for the Arts de Pasadena, en Californie, inaugurera « Exposure : native art and political ecology ». L’exposition comprend des œuvres d’artistes documentant les réponses aux impacts des essais nucléaires, de l’extraction d’uranium et des déchets toxiques sur les peuples premiers et la biodiversité en Australie, au Canada, au Groenland, aux États-Unis, au Japon et dans les îles du Pacifique.

De quelle quantité d’énergie disposons-nous ? Cette question est au cœur de « The Energy Show – Sun, Solar and Human Power » au Het Nieuwe Instituut de Rotterdam (jusqu’au 5 mars 2023), une exposition organisée en collaboration avec « The Solar Biennale » qui tourne autour du soleil et de ses possibilités de création. Elle réfléchit aux niveaux d’énergie personnels des visiteurs, présente des exemples de technologies solaires innovantes et pose la question suivante : à quoi ressemblerait le monde s’il fonctionnait à l’énergie solaire ?

Au musée d’art moderne EMMA d’Espoo, en Finlande, l’installation The Preserving Machine de Dora Budor sera présentée jusqu’au 2 avril. L’œuvre fait partie de l’exposition « In Search of the Present », une exposition à laquelle participent Rafael Lozano-Hemmer, Refik Anadol et Raimo Saarinen, qui dissèquent les intersections entre la nature, la technologie et l’art. Le titre de l’œuvre est emprunté d’une histoire de Philip K. Dick datant de 1953, dans laquelle des personnes tentent de préserver la musique classique lors d’un effondrement culturel en codant des notes de musique dans des animaux. Cependant, les mutations des animaux rendent les œuvres musicales méconnaissables, la nature et la culture échouant à coexister.

Dora Budor, Preserving machine © Antenna Space, 2019

L’exposition collective « Desert Flood » à Lago/Algo, au Mexique, du 1er février au 15 juillet, nous confronte à la réalité d’un monde devenu paradoxal. Né après la crise sanitaire de Covid-19, Lago/Algo est un espace axé sur les questions socio-écologiques et vise à considérer l’art comme un guide vers de nouveaux modèles, en harmonie avec la nature. En se concentrant sur l’eau, ressource essentielle, source de vie mais aussi force destructrice, l’exposition curatée par Jérôme Sans réunit les artistes Claudia Comte, Gabriel Rico et SUPERFLEX.

L’exposition collective « Rivers can exist without water but not without shores » au Musée d’art contemporain de Lima (jusqu’au 30 avril) rassemble des œuvres d’art sur la forêt amazonienne péruvienne de 60 artistes, dont des membres de communautés autochtones péruviennes. L’exposition cherche à repousser la vision stéréotypée de la forêt tropicale comme un lieu hors de la civilisation, coincé dans un passé édénique – une vision qui a rationalisé sa dévastation – et offre de nouvelles perspectives basées sur les connaissances locales.
L’exposition SOLAR RETURN de Luis Enrique Zela-Koort, lauréat du prix MAC Lima pour l’art et l’innovation 2022, est également présentée au musée jusqu’au 29 janvier. L’artiste propose un retour au Soleil, premier témoin et agent créateur de l’histoire de la Terre.

Solar return, Luis Enrique Zela-Koort © Luis Enrique Zela-Koort, 2023

L’exposition « Perceptible Rhythms/Alternative Temporalities » au centre artistique et culturel du MEI de Washington DC (jusqu’au 28 avril) présente 12 artistes du Moyen-Orient et d’Asie du Sud (tels Abbas Akhavan, Marianne Fahmy…) qui explorent l’impact des conflits, de l’urbanisation et de la crise climatique sur leur environnement, ainsi que les moyens de mieux préserver l’environnement. Les artistes originaires des Émirats arabes unis, d’Iran, d’Égypte ou encore Pakistan explorent les moyens de vivre en harmonie avec la planète en renouant avec les histoires culturelles passées et en redécouvrant des espèces végétales disparues.

Ces dernières années, nous avons pu constater que de nombreux artistes – Refik Anadol, John Gerrard, Jakob Kudsk Steensen, Andreas Greiner, Troika, Bianca Kennedy&Swan Collective, Marco Barotti, Carolin Liebl&Nikolas Schmid-Pfähler et bien d’autres – utilisent des technologies avancées telles que l’intelligence artificielle pour effectuer des recherches et créer des œuvres sur les enjeux environnementaux. Avec son exposition « I must alter myself into a life-form that can exist on this planet » à la HEK Basel (jusqu’au 19 mars), Anne Duk Hee Jordan s’inscrit comme figure majeure de ce mouvement et explore la question : comment s’harmoniser avec la nature pour éviter de mettre encore plus en danger notre planète ? Ses scénarios futuristes, composés d’éléments sculpturaux et biologiques, suggèrent un environnement dans lequel les êtres humains et non-humains peuvent évoluer ensemble. L’univers artistique de Jordan est peuplé de machines robotiques humoristiques avec lesquelles elle explore les liens avec d’autres espèces.

L’exposition MELTDOWN – Visualizing Climate Change arrive à Berlin au Kühlhaus, du 17 février au 5 mars. Cette exposition collective nomade qui parcourt le monde depuis ces dernières années, sensibilise les visiteurs au sujet de la crise climatique, et sera accompagnée de nombreux débats en soirée et de discussions avec les artistes. 

Simon Norfolk & Klaus Thymann membres du group show « MELTDOWN », Shroud © Hasselblad H5D, 2018

Au Musée Jumex de Mexico, l’artiste mexicaine iconique Minerva Cuevas présente « Game Over » (jusqu’au 26 février), une scénographie participative autour des concepts de jeu, d’écologie et de développement urbain, qui reflètent les processus sociaux du siècle dernier.

GALERIES

En ce qui concerne les galeries privées, le vent tourne depuis la création de la Gallery Climate Coalition, un réseau de 800 membres de 20 pays qui s’est donné pour mission de créer une feuille de route pour les galeries afin de réduire de 50 % leurs émissions climatiques d’ici à 2030. Certaines galeries ont également fait des questions environnementales un élément central de leur programmation.
C’est le cas de la galerie Alexander Levy à Berlin, qui célèbre cette année son dixième anniversaire et réunit ses artistes autour d’approches écologiques, politiques, sociales et scientifiques de la crise environnementale. Intitulée « The Unexpected Universe : Traces of the Anthropocene », l’exposition s’est ouverte le 13 janvier sur une sélection d’œuvres de Julius von Bismarck, Fabian Knecht, Colin Snapp,ou encore Su Yu Hsin.

Fabian Knecht, Isolation baummite spiegelarche © Fabien Knecht, 2021

De son côté, la Lisson Gallery de Londres inaugurera une nouvelle exposition personnelle de Haroon Mirza le 24 février qui durera jusqu’au 8 avril. L’artiste présente une constellation de nouvelles installations, intitulées |||, centrées sur la fréquence dite « sainte » ou « divine » de 111 Hz, qui offre une expérience de bain sonore imprégnant la galerie (lire l’interview de l’artiste ici). 

Les occasions de se plonger dans les réflexions d’artistes soucieux de la nature et de l’environnement sont nombreuses, et nous suivrons de près l’engagement et l’impact de ces initiatives. Rendez-vous dans la prochaine newsletter !

Lucia Longhi

Couverture : Mirka Laura,Solar-Views, The Visitor, 2021

Impact Art News, Décembre 2022-Janvier 2023 #41

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Expositions et événements indiqués dans l’article :