L’Arabie Saoudite, le plus grand pays du Moyen-Orient avec 35 millions d’habitants, accélère son investissement dans l’art contemporain, du quartier Jax de Riyad jusqu’à l’oasis d’AlUla. La Biennale d’Art Contemporain de Diriyah et le AlUla Arts Festival qui se tiennent actuellement, témoignent de cette forte dynamique. Si les pratiques d’éco-conception y sont moins développées que dans d’autres pays, de nombreux artistes locaux et internationaux démontrent une prise de conscience de la crise écologique actuelle à travers leurs œuvres ou performances engagées.

Jax district, un nouveau centre artistique au coeur de Riyad

Le nouveau quartier de Jax (Jax District) de Riyad, entièrement dédié à l’art contemporain, ne cesse de s’enrichir de nouvelles galeries, d’ateliers d’artistes, de résidences artistiques et plus récemment, d’un musée. De célèbres artistes y ont installé leur atelier, comme Ahmed Mater qui occupe un studio-café-bibliothèque ouvert à tous ou Muhannad Shono qui vient d’inaugurer une exposition personnelle à la galerie ATHR dans ce même quartier. Le nouveau musée saoudien d’art contemporain (SAMoCA) ouvert depuis novembre dernier, propose actuellement l’exposition « In the Night », curatée par Géraldine Bloch, dans laquelle Andrey Zouari ou encore Bertrand Gadenne abordent des questions environnementales. À quelques pas de là, l’exposition « Refracted Identities, Shared Futures » du Festival Noor (Festival d’art et lumière de Riyad) se poursuit après l’extinction des grandes installations extérieures. La vidéo s’y déploie comme médium de prédilection pour aborder les enjeux écologiques, comme le démontrent les artistes Ayman Zedani, Federico Acciardi ou encore Talin Hazbar. Toujours dans le quartier de Jax, c’est actuellement « After Rain », la seconde édition de la Biennale d’Art Contemporain de Diriyah, qui crée l’événement. 

Une biennale d’envergure mondiale qui place l’environnement dans ses préoccupations

La Biennale d’Art Contemporain de Diriyah, sous le commissariat d’Ute Meta Bauer, dévoile sur 12 900 mètres carrés et avec 177 oeuvres, un génie de la réconciliation et de la réparation. Titrée « After Rain », elle donne à l’écologie une place importante dans sa programmation ainsi que dans sa scénographie, évitant au maximum l’utilisation de cimaises et du plastique.
Un hall entier est consacré au thème Environments and Ecologies, où le pluriel du titre entend traduire la multitude des artistes et des cultures mises en avant.
Les savoirs anciens et les traditions autochtones sont conviés à cette biennale qui offre un espace de représentation aux contre-cultures post-capitalistes. Marjetica Potrč expose ainsi The Time of Humans on the Soča River, un arbre de vie monumental inspiré des traditions folkloriques slovènes liées au fleuve Soča. L’artiste saoudienne Asma Bahmim s’inspire du bestiaire de l’enluminure islamique et utilise un papier écologique de sa fabrication pour témoigner de l’état actuel du monde. Tel un prolongement, la sculpture co-créée par Tomás Saraceno et deux araignées, issue de sa série Hybrid Web, est accompagnée d’une lettre manifeste contre l’arachnophobie.
Sopheap Pich a créé des structures monumentales à partir de matériaux naturels du Cambodge et alerte sur la disparition progressive de l’arbre banian. Dans une démarche similaire, plusieurs artistes invitent à travers la vidéo, à se rapprocher des savoirs autochtones et de leur lien avec la nature, comme Ursula Biemann, Joan Jonas ou encore Martha Atienza qui évoque les menaces pesant sur la biodiversité de l’île Bantayan et ses communautés locales.
Les solutions innovantes pour la préservation de l’environnement y ont également leur place, comme Liam Young qui consacre son film The Great Endeavor à la capture carbone ou Lucy + Jorge Orta qui présentent OrtaWater – Purification Factory, une sculpture performative de traitement de l’eau, rappelant sa rareté dans un monde touché par la désertification.
Enfin, le titre même de la biennale est mis en scène de manière olfactive par les artistes Sissel Tolaas (interview à lire ici) qui reproduit l’odeur d’un sol fraîchement mouillé par la pluie ou encore Anaïs Tondeur* et son œuvre Fragments of Soil réalisée en collaboration avec l’anthropologue Germain Meulemans.

Gauche: Anaïs Tondeur & Alia Farid, Droite: Joan Jonas, « After Rain », Biennale d’Art Contemporain de Diriyah


La dynamique ambitieuse de la capitale n’en est pourtant qu’à ses débuts. Projet hors norme sortant actuellement de terre, le Irqah Creative Art Laboratory, dirigé par Abdelkader Damani, dans un ancien hôpital situé au nord de la ville, sera entièrement dédié à la création contemporaine, de la musique aux arts plastiques, avec une matériauthèque et des résidences. Étendu sur 100 000 m
2 de surface, il dépassera de loin le musée du Louvre et ses 66 000 m2.

 

AlUla, le désert comme écrin de l’art contemporain

À quelques 1000 km de la capitale se trouve AlUla, à la fois une oasis, un site archéologique majeur et un nouvel épicentre pour l’art contemporain. La Commission royale pour AlUla (RCU) et l’Agence française pour le développement d’AlUla (Afalula), se sont unies dès 2018 pour développer la région sur un plan culturel et touristique. 
Le AlUla Arts Festival, qui a démarré le 9 février, comprend une multitude d’événements et d’expositions, dont la troisième édition de Desert X, l’exposition du programme de résidences d’AlUla ou encore le symposium international Future Culture Summit. 

Desert X, le désert comme eldorado ? 

Pour sa troisième édition à AlUla, Desert X a choisi comme titre « In the presence of Absence ». Dans le paysage désertique et rocheux de Wadi AlFann, les commissaires Maya El Khalil, Marcello Dantas, ainsi que les directeurs artistiques Raneem Farsi et Neville Wakefield, ont sélectionné 15 artistes pour dialoguer avec l’environnement naturel et les traditions anciennes du nord-ouest de l’Arabie Saoudite. Parmi eux, les artistes Rana Haddad et Pascal Hachem ont créé de grandes tours avec des jarres en terres cuites, qui seront ensuite réutilisées comme nichoirs à oiseaux. Aseel AlYaqoub a installé une sculpture monumentale recouverte d’un vernis lumineux aux couleurs des différentes formations géologiques du paysage d’AlUla. Quant à Tino Sehgal, très soucieux de son impact environnemental a opté pour une performance chantée et dansée, plaçant l’accent sur l’interaction entre les éléments naturels du désert.

    Droite: Tino Sehgal, Gauche : Rana Haddad et Pascal Hachem, DesertX x AlUla

Le Land Art, axe majeur du développement d’AlUla, n’a pas vocation à rester éphémère dans la région mais bien à devenir pérenne. La RCU et l’Agence française pour le développement d’AlUla (Afalula), annoncent cinq œuvres monumentales à venir dont celle, très attendue, dAhmed Mater

Le programme de résidence d’AlUla : des artistes émergents et concernés

AlUla conduit un programme de résidences d’artistes et designers visant à créer un dialogue entre le patrimoine, la culture locale et la jeune création. Il fait actuellement l’objet de deux expositions sous le commissariat d’Ali Alghazzawi et Arnaud Morand.

L’exposition « The Shadow Over Everything » rassemble les créations de la résidence d’octobre 2023 à février 2024 de Maitha Abdalla, Reem Al Nasser, Bianca Bondi & Guillaume Bouisset, Grégory Chatonsky, Marlon de Azambuja, Hugo Servanin et Joel Spring. Parmi eux, Maitha Abdalla, artiste émiratie, explore les influences culturelles du folklore arabe et la technique traditionnelle de l’adobe, Bianca Bondi et Guillaume Bouisset soumettent une porte de l’ancienne ville aux pouvoirs alchimiques de l’eau et du sel et Hugo Servanin fait jaillir du sable venant éroder une sculpture anthropomorphe, interrogeant symboliquement la fragilité des civilisations. 

De leur côté, les résidents designer Leo Orta, Studio Raw Material, Hall Haus, Leen Ajlan, Bahraini-Danish présentent eux-aussi le résultat de leurs travaux dans l’exposition « Unguessed Kinships ». Leo Orta a créé une série de mobilier à partir d’adobe et de paille, inspirée du paysage d’AlUla. De son côté, le Studio Raw Material explore les relations entre les ressources naturelles de l’oasis d’AlUla et les techniques de création traditionnelles. 

Hugo Servanin, Bianca Bondi, « The Shadow Over Everything », AlUla

Le riche programme du AlUla Arts Festival ne s’arrête pas là ! Signalons également l’exposition personnelle de Hassan Hajjaj qui a photographié les habitants d’AlUla, ou encore le symposium Future Culture Summit, organisé par la RCU en partenariat avec le Ministère de la Culture d’Arabie Saoudite, qui a convié près de 300 acteurs culturels de la région et internationaux, véritable temps fort pour AlUla en cette fin du mois de février. 

Si les moyens investis pour l’art et la culture semblent ici hors norme, AlUla se confronte à un défi majeur : celui du réchauffement climatique qui modifie le paysage et réduit les périodes de températures modérées. Dans ce pays aride où les enjeux sociaux abondent, l’avenir sera sans doute fait d’une combinaison savante entre des solutions d’adaptation à la crise climatique et le génie créatif des artistes, afin de rendre ce terrain durablement fertile, à la fois artistiquement, socialement et écologiquement.

AlUla s’invente comme une utopie culturelle du 21e siècle, et ambitionne de devenir un nouveau modèle de création et de production artistique. Les programmes culturels, au premier rangs desquels les résidences d’artistes, tissent des liens entre les problématiques environnementales et les questions sociales propres à ces grands projets de développement – et la création contemporaine. Par ailleurs, nous proposons une expérience inédite : celle d’associer, pour la première fois à cette échelle, le regard des artistes et la démarche scientifique dans l’écriture des récits, dans la réinvention d’une destination. Cela contribuera à faire d’AlUla une destination culturelle d’un nouveau genre nouveau.” – Arnaud Morand, Directeur Art et Innovation de l’Agence française pour le développement d’AlUla (Afalula)

Alice Audouin, Sana Tekaïa, Zoé Reed

*gagnante du Prix Art of Change 21, 2021

 

Expositions évoquées dans cet article : 

À Riyad, JAX district

« The Ground Day Breaks », Muhannad Shono, ATHR Gallery, 18 février – 20 mai 2024

« In the Night », exposition collective, SAMoCA, 15 février – 20 mai 2024

« After Rain », Diriyah Contemporary Art Biennale 2024, 20 février – 24 mai 2024

« Refracted Identities, Shared Futures » Exposition Festival Noor 2023, 23 décembre 2023 – 2 mars 2024

À Alula 

« AlUla Arts Festival », 9 février  – 23 mars 2024

« Desert X AlUla– In the Presence of Absence », 9 février  – 23 mars 2024

« The Shadow Over Everything », AlUla Visual Art Residency Exhibition, 8 février – 30 avril 2024

« Unguessed Kinships », AlUla Design Residency Exhibition, 8 février – 30 avril 2024

 

Crédits Photo : Art of Change 21

Couverture : « The Ground Day Breaks », Muhannad Shono, Galerie ATHR

 

Impact Art News, Jan-Fev 2024 #47

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