Art of change 21 – Comment vous sentez-vous face à la crise du coronavirus ?
Lin May Saeed – Je vais bien, mais j’y réfléchis beaucoup. Le sentiment d’impuissance dû aux restrictions de liberté dans la vie quotidienne, qui sont nouvelles pour tous, semble alimenter une certaine radicalisation. En tant que personne engagée pour les droits des animaux, je suis habituée à ce sentiment d’impuissance, et finalement la vie avec les restrictions imposées par la pandémie ne me dérange pas plus que ça. Je ne sais pas comment la pandémie m’affectera émotionnellement à long terme. C’est encore trop frais. Mais ce qui m’inquiète, et j’y pense souvent, c’est que les inégalités sociales, déjà fortes en Allemagne, vont augmenter avec la Covid-19.
Concernant mon travail, certaines de mes expositions ont pu avoir lieu cette année malgré la Covid, comme au Clark Art Institute, ma première exposition personnelle dans un musée ! Une exposition collective au Musée d’Art Contemporain de Varsovie à laquelle je participais n’a été que légèrement retardée, mais elle a bien eu lieu. 

AOC21 – Dites-en nous un peu plus sur cette exposition au Clark Art Institute, « Arrival of the Animals » ?
L.M.S. – J’y ai travaillé pendant plus d’un an, notamment sur le transport des œuvres qui nécessitait quinze caisses d’expédition provenant de l’étranger. Le fait qu’elles soient toutes arrivées au musée intactes et complètes, peu de temps après le début du confinement à la fin du mois de mars, était inespéré. L’exposition a été mise en place alors que le monde semblait à l’arrêt. J’ai justement reçu le catalogue aujourd’hui et je le trouve magnifique ! Ces derniers mois absurdes m’auront donc apporté quelques instants de bonheur. Le nom de l’exposition est tiré d’une nouvelle d’Elias Canetti, où il présente les animaux comme des individus, il n’en fait jamais une utilisation métaphorique. Canetti dit que tout au long de l’histoire, on a trop peu parlé des animaux, je suis d’accord avec lui. 

AOC21 – Quel est votre parcours de militante pour la cause animale ?
L.M.S. – J’ai d’abord milité contre la fourrure, car dans la ville où j’étudiais, Düsseldorf – capitale de la mode en Allemagne – porter de la fourrure était à la mode à la fin des années 90. J’ai rencontré d’autres activistes et j’ai découvert par la suite que la défense des animaux couvrait un domaine plus large que je ne le pensais. Grâce à l’activisme et aux conversations que j’ai eues avec des militants que j’ai eu la chance de rencontrer, tels que Melanie Bujok et Birgit Mütherich, j’ai pu mener une recherche artistique sur le long terme. J’ai compris que le dénominateur commun de l’oppression animale était le spécisme. Il ne s’agit pas seulement de devenir vegan, mais de remettre en question tout une idéologie consumériste. Lors des congrès pour les droits des animaux, la théorie de l’intersectionnalité, sur l’interdépendance de différentes formes d’oppression, comme le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie, etc., est abordée. Les militants que je connais personnellement sont à gauche. Il n’est pas seulement question de l’animal comme non-humain, mais surtout de tendre vers une société plus juste. J’ai compris qu’être à gauche, c’est se soucier de l’égalité, et surtout se tourner vers les plus faibles plutôt que de les ignorer. Je fais allusion à cela parce qu’il y a des mouvements politiques de droite qui prétendent s’intéresser à des sujets comme la nature ou les droits des animaux, mais rejettent l’égalité sociale et une forme de société pluraliste.

AOC21 – Le mouvement actuel de défense des animaux n’est pas nouveau – il y a déjà eu par le passé des tentatives de relations plus équitables entre humains et animaux.
L.M.S. – Exactement ! Un exemple concret en est le mouvement anglais des Suffragettes, qui a permis des efforts pour attirer l’attention des gens sur le bien-être des animaux, comme c’est expliqué dans l’ouvrage « Ein Königreich für Tiere » (« Un royaume pour les Animaux ») de Mieke Roscher. Les questions des droits des animaux défendus par ce mouvement n’ont pas été pas retenus par l’histoire officielle. Avec le choix d’un tel titre pour l’exposition, « l’arrivée des animaux of the Animals », j’ai voulu élargir ma vision, me situer au-delà de anthropocentrisme.

AOC21 – Vous utilisez différents matériaux, comme la mousse de polystyrène…
L.M.S. – Le polystyrène a une très longue durée de vie, même si dans un monde parfait cela ne devrait pas exister. C’est une sorte de défi pour moi de prendre un matériau difficile / rebelle et d’en faire quelque chose de beau. Lorsque je peins mes reliefs et sculptures en polystyrène, ils ressemblent davantage à du béton cellulaire. J’allie souvent le polystyrène avec du plâtre et des matériaux trouvés. J’utilise de l’acier pour les portes et les barrières, et du papier pour les silhouettes. Je me sers toujours de dessins comme points de départ de mes créations. Dans le cas des portes et barrières, c’est probablement plus évident. Pour les projets en extérieur, je travaille en partenariat avec une fonderie à laquelle je fais confiance, qui transforme mes sculptures en bronze. Mais le matériau le plus important, c’est le temps que je passe sur mes œuvres.

AOC21 – Quelles seront vos prochaines expositions ?
L.M.S. – Actuellement, je vais participer au Winterfest de l’Aspen Art Museum, dans le Colorado, un projet de et avec Veit-Laurent Kurz et d’autres artistes. Je travaille également sur une commande pour l’exposition collective « La mer imaginaire » à la Fondation Carmignac à Porquerolles. Et enfin, j’ai une exposition personnelle à la Galerie Jacky Strenz, à Francfort. Et aussi Espressioni, une autre exposition collective au Musée Castello di Rivoli de Turin. 

 

Crédit: Lin May Saeed, courtesy of the artist 

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Interview conduite par Alice Audouin, octobre 2020 

Retrouvez l’ensemble des articles d’Impact Art News n°23 – Octobre 2020

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