L’été touche à sa fin et restera longtemps dans les mémoires, avec une succession de températures record partout sur la planète. Il devient désormais impossible d’éviter l’urgence climatique et ses conséquences tragiques sur la biodiversité et nos vies. Plus que jamais en cette rentrée 2022, les artistes adressent la problématique environnementale. La saison s’annonce intense, avec des expositions de grande envergure qui placent cette urgence au centre du discours culturel et avancent de nouveaux paradigmes. D’Europe en Asie, d’Amérique en Afrique, nous suivons la trace de ce mouvement à travers le monde, avec notre sélection d’une vingtaine d’expositions.

En Europe, des expositions d’institutions majeures et les Biennales de Venise, de Berlin et de Lyon éclairent notre relation avec la nature sous différents angles.

Venise-Madrid-Lisbonne : nouveau chemin de l’art engagé dans l’environnement en Europe du Sud

Dans le prolongement de son exposition à Ocean Space à Venise, Dineo Seshee Bopape fait l’objet d’une grande rétrospective qui ouvrira le 6 octobre au Pirelli Hangar Bicocca de Milan. Son travail adresse la nature comme réceptacle de violences mémorielles, tant sur les humains que sur la planète. A Venise, le troisième volet de l’exposition en trois parties Planète B : Climate change and the new sublime (déjà mentionnée dans cet article) curatée par Nicolas Bourriaud du groupe Radicants a été inauguré au Palazzo Bollani le 8 septembre sous le titre The tragic death of Nauru Island. Les 27 artistes invités, dont Hicham BerradaBianca Bondi et Agnieszka Kurant, montrent comment le sublime fait écho à l’esthétique de l’Anthropocène.

Toujours en Italie, à la Triennale de Milan, deux expositions thématiques, Unknown Unkwnows et Real World, explorent les dimensions poétiques et écologiques de l’inconnu. Au Castello di Rivoli, à Turin, l’exposition collective Naturecultures (qui se termine le 18 septembre), fait référence aux théories écoféministes de Donna Haraway. Elle réunit des œuvres d’artistes de l’Arte Povera, qui utilisaient des techniques élémentaires et des matériaux communs pour combler le fossé entre nature et culture, et d’artistes vivants qui cherchent à transformer la mélancolie et la culpabilité liées à la destruction de la planète en une recherche éclairée et déterminée d’un nouvel avenir.

À Madrid, le musée Thyssen ouvrira le 25 octobre une exposition qui aborde le thème de l’urgence climatique à travers une recherche visionnaire sur les récits et les mythologies narratives. The Third Pole de Himali Singh Soin découle de l’exploration par l’artiste des zones inhabitées en Arctique et en Antarctique pour imaginer des récits d’un point de vue non humain, celui de la glace, premier témoin du réchauffement climatique. L’exposition bouscule les préjugés postcoloniaux au regard des questions climatiques urgentes en explorant les interdépendances entre le naturel et l’occulte.

Au Portugal, le musée national d’art contemporain Chiado présente Echoes of Nature, une exposition monographique de l’artiste Manuela Marques, qui ouvrira ses portes le 6 octobre et déclinera la notion de paysage sous toutes ses formes, établissant un dialogue entre discours scientifiques et esthétiques.

Pointe de fuite, 2019, impression numérique à jet d’encre pigmentée sur papier baryté,             110 x 165 cm © Manuela Marques

Plus au nord, l’axe Düsseldorf – Delft – Lille ouvre la porte à une nouvelle culture de l’écologie

Après Climate of Concern, deux autres nouvelles expositions seront inaugurées au Radius CCA, à Delft, aux Pays-Bas, le 24 septembre : l’exposition collective Entangled Life, troisième volet du programme de l’année « Underland », explorera l’interdépendance de plusieurs espèces dans les écosystèmes forestiers, et l’exposition individuelle de Diana Policarpo Nets of Hyphae prendra le champignon ergot comme point de départ d’une enquête sur les relations entre genre, structures économiques et interrelations des formes de vie. En Belgique, Otobong Nkanga (lire notre conversation avec elle) fait l’objet d’une exposition personnelle qui se termine le 25 septembre : Underneath the Shade We Lay Grounded, dans un joyau du patrimoine, l’hôpital médiéval de Bruges. Dialogue entre ses œuvres et celles du musée, elle présente Taste of a Stone, une gigantesque œuvre au sol faite de 50 tonnes de galets et de pierres blanches, créant un refuge pour réfléchir à la mémoire du passé de Bruges et des routes de commerce entre l’Europe et l’Afrique.

Toujours en Belgique, la Patinoire Royale | Galerie Valerie Bach à Bruxelles a ouvert le 9 septembre une impressionnante rétrospective de Lucy + Jorge Orta, Vita Extremis*, mettant à l’honneur ce duo d’artistes travaillant sur les grands enjeux sociaux et environnementaux depuis 30 ans, au travers de projets au long cours (Antarctica, Food, Amazonia, Water…) et de multiples supports : sculpture, couture, peinture, performance, etc.

Le 14 septembre, le Musée Tinguely de Bâle présente jusqu’au 8 janvier 2023 Territoires de déchets – Le retour du refoulé, une exposition qui met en lumière la pollution de l’ensemble de l’écosphère et les ruines des paysages dans le sillage destructeur des extractions de matières premières. Elle réunit les œuvres d’artistes contemporains et de la seconde moitié du XXe siècle, dont Carolina CaycedoJulien CreuzetAgnes Denes et Hans Haacke.

L’Allemagne présente de nombreuses expositions : la Biennale de Berlin, en particulier, qui se termine le 18 septembre et dont le commissaire est cette année l’artiste franco-algérien Kader Attia, montre à quel point les questions environnementales sont un legs de l’histoire coloniale de l’Europe et doivent être reliées à l’histoire, pour engager un dialogue et une « réparation » de la mémoire collective. Les artistes Sammy BalojiMai Nguyen-Long et Monica de Miranda comptent au rang des nombreux artistes remarquables présents à la Biennale. Le soin, la réparation et la guérison sont également le thème d’une nouvelle exposition YOYI ! Care, Repair, Heal, qui ouvrira ses portes le 16 septembre au Martin Gropius Bau à Berlin et qui présente les perspectives de 26 artistes, dont Kader Attia, Tabita Rezaire & Amakaba et Wu Tsang.
À la ‘Haus der Kulturen der Welt’ à Berlin, l’exposition Indices de la Terre est ouverte jusqu’au 17 octobre. L’artiste Giulia Bruno et le photographe de renom Armin Linke ont suivi de près les recherches de l’Anthropocene Working Group, tirant de cette expérience des photographies qui donnent à voir les procédures et les tâches spécifiques requises pour produire des preuves géologiques.
La nouvelle exposition personnelle de Julian Charrière, intitulée Controlled Burn, a été inaugurée le 4 septembre à la Fondation Langen, à Neuss, près de Düsseldorf. Cette exposition de grande envergure explore la politique et la poétique de la combustion et s’engage activement contre la crise énergétique actuelle. Pour preuve, l’artiste devient fournisseur d’énergie solaire pour l’exposition !
À Munich, la Haus der Kunst rend hommage à Joan Jonas, vétéran de l’art de la performance, avec une vaste exposition solo qui a débuté le 9 septembre. Depuis le début des années 2000, l’artiste s’intéresse de plus en plus aux enjeux écologiques actuels causés par le changement climatique, plaçant les formes de vie non humaines et les écosystèmes au centre de sa réflexion artistique.

À Lyon, le plus important événement non commercial d’art contemporain en France, la Biennale de Lyon, ouvre ses portes au public international le 14 septembre. Curatée par Sam Bardaouil et Till Fellrath, son titre, Manifeste de la fragilité, est une invitation à placer la notion de fragilité au centre d’une nouvelle forme de résistance. La nouvelle installation monumentale d’Ugo Schiavi au musée Guimet nous ouvre les yeux sur un avenir qui « semble être en état d’abandon ». L’artiste mélange des éléments naturels et anthropiques, créant un organisme à l’image de notre monde actuel. Mais la représentation la plus flagrante du thème de la « fragilité » mis à l’honneur par la Biennale est sans doute la suppression brutale des subventions (200 000 euros) par la région quatre mois avant l’ouverture. Un coup d’autant plus difficile à amortir que la quantité sans précédent d’artistes (200), de lieux (12) et de nouvelles productions (60) de la Biennale pèse lourdement sur l’idée de « fragilité ». Toujours en France, l’exposition Novacène* se poursuit à la Gare Saint Sauveur, à Lille, jusqu’au 2 octobre, avec 20 artistes internationaux dont Haroon Mirza, Otobong Nkanga, Fabien LéausticJulian Charrière, Taisia KorotkovaZheng Bo, Art Orienté Objet, John Gerrard …- et des installations monumentales spécialement produites, adressant les enjeux environnementaux et défrichant l’avenir post-anthropocène.

Le continent américain se réveille et agit

Faisons voile vers le continent américain, où canicule, incendies, déforestation et crise écologique ont rythmé une grande partie de l’été. Côté brésilien, Labverde, l’emblématique plateforme transdisciplinaire basée en Amazonie brésilienne et axée sur le développement de langages artistiques adaptés à l’expression des problématiques relatives à l’environnement, vient d’accueillir les nouveaux résidents de son programme « Écologies spéculatives ». L’artiste contemporain Chuan Lun Wu ou encore la céramiste Vandria Borari voguent désormais vers Rio Negro pour explorer comment agir par l’art en faveur de la justice environnementale en Amazonie. Son autre programme de résidence immersive et collaborative Labsonora débutera le 22 septembre, autour de la composition musicale et de la production sonore basée sur l’écoute sensible des environnements, suivi d’un festival à Manaus en décembre. Par ailleurs, son programme Fungi Cosmology (sur les relations symbiotiques des champignons) est en cours jusqu’en 2023.

Plus au nord, à New York, où l’artiste John Gerrard vient de terminer une exposition monumentale à la Pace Gallery avec six installations murales diffusant des simulations climatiques, le Brooklyn Museum propose un programme non moins ambitieux. Après l’exposition de Mona Chalabi, qui explore la justice environnementale et l’impact inégal du changement climatique sur les communautés de Brooklyn, une nouvelle exposition basée à Brooklyn, de l’artiste Duke Riley, intitulée DEATH TO THE LIVING, Long Live Trash, se tient jusqu’au 23 avril 2023. Duke Riley utilise des matériaux collectés sur des plages voisines pour mettre en lumière la dévastation marine locale et mondiale. Parallèlement aux expositions, le Brooklyn Museum aide également la communauté citoyenne à agir grâce à son programme d’ateliers virtuels pour les enseignants.

Duke Riley. Monument to Five Thousand Years of Temptation and Deception (I), 2020. Récupérations, plastique peint, acajou. Courtesy de l’artiste et de la Praise Shadows Art Gallery, MA. Photo : Will Howcroft pour Praise Shadows Art Gallery

La météo, un sujet brûlant en Asie

La Chine, le Japon et la Corée infléchissent eux aussi de plus en plus le discours culturel vers les questions d’écologie et d’architecture durable. Cloud Walkers, au Leeum Museum of Art, vise à réexaminer le rôle de l’art et de la société asiatique à une époque où l’influence de l’Asie sur l’ordre mondial s’est considérablement accrue. Cette exposition collective esquisse un nouvel avenir durable à travers les œuvres de 25 artistes, dont AaajiaoSamson Young ou Guan Xiao.

Au centre Art Sonje de Séoul, jusqu’au 30 octobre, Seoul Weather Station de Moon Kyungwon et Jeon Joonho passe par l’imagination artistique pour aborder les changements environnementaux et les catastrophes météorologiques, et Songs for dying/Songs for living de Korakrit Arunanondchai, qui fait dialoguer rituels animistes et codes visuels contemporains, élabore des récits dans lesquels les histoires personnelles sont mêlées aux événements historiques.

Enfin, au MMCA, le musée national d’art moderne et contemporain de Corée, le ‘Museum-Carbon-Project’ se poursuit jusqu’au 30 octobre. Il s’agit d’un programme de réflexion sous la forme d’une série d’événements multidisciplinaires qui s’interroge sur la manière de répondre au changement climatique sous l’Anthropocène, notamment en calculant précisément la quantité de carbone émise pour produire une exposition d’art, en prenant le MMCA lui-même comme objet d’étude.

L’Afrique : où l’art et le climat convergeront en novembre

Nous terminons notre tour du monde artistique avec l’Afrique, qui joue un rôle majeur dans la redéfinition du rôle de l’art dans le tournant anthropologique que constitue la crise climatique.

Mariam Hava Aslam, nouvelle résidente, GAS Foundation, Lagos

À Lagos, au Nigeria, la nouvelle fondation G.A.S (Guest Artists Space) de Yinka Shonibare a rejoint le World Weather Network, où des artistes, des écrivains et des communautés partagent des observations, des histoires, des réflexions et des images sur leur météo locale. Raqs Media Collective sera le premier résident de G.A.S. à être reporter météo. La fondation accueille actuellement une autre artiste engagée en faveur de l’environnement dans le cadre de son programme de résidence « Art pour l’Environnement », Mariam Hava Aslam, qui va concevoir des espaces écologiques urbains à partir de la régénération, pour inventer de nouveaux processus écologiques et de nouvelles façons de vivre en ville.

Le légendaire bateau d’expédition Tara, qui a parcouru plus de 450 000 kilomètres sur les océans depuis 2003 avec des centaines d’artistes en résidence, vient de faire escale au Sénégal avant de se rendre en Arctique. À l’Institut français du Sénégal, à Dakar, Ken Aïcha SY, fondatrice de Wakh’Art, est la commissaire de l’exposition Corps noir, absorption et rayonnement qui a ouvert ses portes le 3 septembre avec les derniers artistes en résidence de Tara, dont le photographe Nicolas Floc’h et l’artiste sonore Antoine Bertin.

Enfin et surtout, l’Égypte accueillera cette année la 27e COP Climat (COP27), où art et patrimoine feront équipe pour défendre le rôle de la culture dans la transition écologique et alerter sur l’impact du changement climatique sur les sites culturels et patrimoniaux. De Climate Heritage à Julie’s Bicycle ou Art of Change 21** , divers acteurs introduiront les voix sous-représentées des artistes dans ce débat international.

Lucia Longhi et Alice Audouin 

Traduit de l’anglais par Zoé Brioude

* ces deux expositions sont curatées par Alice Audouin, co-autrice de cet article
** éditeur d’Impact Art News

Expositions citées dans l’article :

The tragic death of Nauru Island, Planète B : Climate change and the new sublime, Palazzo Bollani, Venise, Italie, 8 septembre-27 novembre 2022

Inconnus et Monde réel, Triennale de Milan, Italie, 15 juillet-11 décembre 2022

Naturecultures, Castello di Rivoli, Turin, Italie, 29 avril-18 septembre 2022

The Third Pole de Him Singh Soin, Museo Thyssen, Madrid, Espagne, 25 octobre 2022-29 janvier 2023

Echoes of Nature, Museo Nacional Arte Contemporânea do Chiado, Lisbonne, Portugal, 7 Octobre 2022-29 janvier 2023

Entangled Life, Underland Chapter 3, Radius CCA, Delft, Pays-Bas, 24 septembre-27 novembre 2022

Nets of Hyphae, Radius CCA, Delft, Pays-Bas, 24 septembre-27 novembre 2022

Underneath the Shade We Lay Grounded de Otobong Nkanga, Musea Brugge, Sint-Janshospitaal, Belgique, 25 juin-25 septembre 2022

Vita Extremis de Lucy+Jorge Orta, Patinoire Royale  | Galerie Valérie Bach, Bruxelles, Belgique, 9 septembre-12 novembre 2022

Territoires de déchets –  Le retour du refoulé, Musée Tinguely, Bâle, Suède, 14 septembre 2022-8 janvier 2023

Biennale de Berlin, Berlin, Allemagne, 11 juin-18 septembre 2022

YOYI! Care, Repair, Heal, Gropius Bau, Berlin, Allemagne, 16 septembre 2022-15 janvier 2023

Indices de la Terre, Haus der Kulturen der Welt, Berlin, Allemagne, 19 mai-17 octobre 2022

Joan Jonas, Haus der Kunst, Munich, Allemagne, 9 septembre 2022-26 février 2023

Controlled Burn, Julian Charrière, Langen Foundation,  Neuss, Allemagne, 4 septembre 2022-6 août 2023

Manifeste de la fragilité, Biennale de Lyon, Lyon, France, 14 septembre-31 décembre 2022

Novacène, (pres. Novacène) Gare Saint Sauveur, Lille, France,14 mai-1 octobre 2022

Endling, John Gerrard, Pace Gallery, New York, Etats-Unis, 29 juin-12 août 2022

Mona Chalabi : The Gray-Green Divide, Brooklyn Museum, Brooklyn, Etats-Unis, juin-septembre 2022

DEATH TO THE LIVING, Long Live Trash de Duke Riley, Brooklyn Museum, Brooklyn, Etats-Unis, 17 juin 2022-23 avril 2023

Cloud Walkers, Leeum Museum of Art, Séoul, Corée du Sud, 2 septembre 2022-8 janvier 2023

Seoul Weather Station de Moon Kyungwon et Jeon Joonho, Art Sonje Center, Séoul, Corée du Sud, 30 aout-20 novembre 2022

Corps noir, absorption et rayonnement, Tara Ocean, Dakar, Sénégal, 3 septembre 2022-30 janvier 2023

Impact Art News #39 Juillet/Août/Septembre 2022

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Couverture; Vue de l’exposition, Controlled Burn, Julian Charrière, Fondation Langen @ alice audouin