Mary Mattingly est une artiste américaine. Née en 1978, elle vit et travaille à New York.

Alice Audouin: Vous êtes une pionnière de l’art écologique à New York. Depuis 2003, vous avez créé de nombreuses œuvres d’art dans l’espace public, à forte dimension participative.

Mary Mattingly: Lorsque j’ai commencé, mon travail n’était pas perçu comme de l’art car il était rare de voir des œuvres d’art participatives dans l’espace public. À l’époque, les seules œuvres d’art que l’on pouvait découvrir dans l’espace public étaient de grandes sculptures. Aujourd’hui, les visiteurs mesurent mieux la force d’expression et la multidisciplinarité de ce type d’œuvres. C’est un endroit où beaucoup de choses se passent. En tant qu’artiste, mon but est de créer un lien entre l’art et la vie, les deux sont indissociables. 

Vous avez commencé il y a 20 ans en proposant une approche visionnaire sur la question des réfugiés climatiques.

J’ai commencé à créer des Wearable Homes en 2003, au carrefour de nombreux enjeux écologiques. Je réfléchissais à la question de la mobilité et des réfugiés climatiques, qui allaient se multiplier et se déplacer de plus en plus et qui allaient avoir de moins en moins accès à l’eau potable. L’eau est toujours un sujet qui m’a tenu à cœur. Dans mon enfance à la campagne, il n’y avait pas d’eau potable, c’est une problématique qui m’a marquée. Dans les années 2000, il y avait aussi de nombreuses actualités sur la privatisation de l’eau. Cela ajouté à l’enjeu du réchauffement climatique, je savais que de plus en plus de personnes allaient manquer de ressources vitales, et plus particulièrement d’eau. À travers cette œuvre, j’ai imaginé un avenir dans lequel de nombreuses personnes devraient agir pour leur survie et s’adapter aux imprévus liés au changement climatique. Pour créer cette maison-sculpture, j’ai mélangé des tissus et éléments technologiques. J’ai aussi utilisé des chauffages encapsulés comme ceux que l’on peut trouver dans les couvertures chauffantes, avec des capteurs capables de s’adapter à la température du corps.

Wearable Homes, Mary Mattingly Studio, 2006 © Mary Mattingly


Votre œuvre Waterpod, en 2009, a été un grand tournant dans votre carrière.

Waterpod était un grand projet artistique interdisciplinaire basé encore une fois sur l’eau à New York. Il s’agissait d’un éco-habitat flottant, conçu pour s’adapter aux marées, qui naviguait sur l’East River. Cette œuvre a été très importante pour moi, elle a changé ma façon de concevoir le rôle de l’art. J’ai beaucoup appris de toutes les personnes d’horizons très divers qui y ont contribué. Les menaces sur les besoins humains fondamentaux, comme la nourriture ou l’eau potable, sont à l’origine d’une conversation et d’un engagement de la part des participants. Cette œuvre durable et navigable a soulevé de nombreuses questions sur l’accès à ces ressources. Elle a reconnecté les habitants aux rivières, le global au local, la nature à la ville et les écologies historiques aux écologies futuristes. Elle était optimiste.

Waterpod, Mary Mattingly Studio, 2009 © Mary Mattingly


Vous venez de lancer Ebb of a Spring Tide, qui traite aussi de l’élévation du niveau de la mer et des inondations à New York.

Elle vient d’ouvrir au Socrates Sculpture Park, le long du détroit East River, sur le front de mer de l’ouest du Western Queens County. C’est une œuvre sculpturale qui explore les écosystèmes côtiers et la nature changeante des fleuves et des courants marins. À travers cette œuvre, je souhaite montrer que ce détroit n’est pas seulement une ligne sur une carte mais qu’il fait partie d’un écosystème beaucoup plus grand qui est menacé par l’élévation du niveau des mers due au changement climatique.
Les inondations sont une problématique majeure à New York, elles sont de plus en plus fréquentes et dévastatrices. Mon propre appartement, dans le centre de Brooklyn, a été inondé en septembre dernier. L’East River est une eau salée, ce qui menace directement l’agriculture et donc l’alimentation, car les sols ne pourront bientôt plus s’adapter à cette salinité. Avec cette œuvre, j’explore de nouveaux modèles de collaboration, afin que nous puissions nous préparer à un monde en mutation et ce grâce à des innovations et une nouvelle relation réparatrice avec la nature.

Ebb of a Spring Tide, Mary Mattingly Studio, 2023 © Mary Mattingly


Le lien entre art et environnement se renforce fortement en ce moment à New York, comment voyez vous cette évolution ?

Je vois de plus en plus d’actions créant un lien fort entre art et environnement. Depuis 3 à 5 ans, de plus en plus d’artistes réfléchissent aux problématiques environnementales et les incluent dans leurs recherches artistiques. Ils se soucient de l’impact de leurs matériaux et conçoivent des projets de plus grande dimension et interdisciplinaires. 

Vous avez évoqué le fait que votre travail n’était pas considéré au départ comme de l’art. Est-ce que vous souffrez toujours de cette incompréhension ?

Oh oui, Waterpod n’a pas non plus été considéré comme tel et je ne pense pas qu’Ebb of a Spring Tide le soit non plus, mais ce n’est pas grave. Quand je vois à quel point l’art d’une époque permet d’en comprendre les grands changements, je me rassure, car je suis sûre qu’à l’avenir, nous comprendrons que la crise climatique est un problème majeur. Je suis une artiste et ce que je crée est de l’art. Je travaille avec une galerie et mon travail fait partie du marché de l’art, aussi.  

Al gore évoque souvent le proverbe “Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin” (“If you want to go fast, go alone, if you want to go far, go together”) pour parler du réchauffement climatique.

Je ne savais pas, j’aime beaucoup ! C’est exactement ça !

Conversation avec Alice Audouin

Traduit de l’anglais par Oscar Bardet et Alice Audouin

May 2023

En apprendre plus à propos de Mary Mattingly: https://marymattingly.com/

Couverture : Mary Mattingly Photo © Iconeye

Impact Art News, Avril-Mai 2023 #43

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