À l’instar des méduses et des algues qui prolifèrent dans la lagune vénitienne en marge de la Biennale qui vient d’ouvrir ses portes (voir notre article dédié à la Biennale de Venise 2022), le nombre d’expositions sur les questions environnementales ne cesse d’augmenter. L’eau et les écosystèmes marins font dorénavant l’objet de nombreuses programmations, de biennales et d’expositions. De retour sur la terre ferme, les États-Unis assistent à un renouveau du Land Art, tandis que les institutions londoniennes, qui sont déjà le foyer d’importants mouvements artistiques et activistes tels que Climate Declares Emergency, s’engagent eux aussi pour l’environnement, avec notamment des expositions majeures à la Royal Academy et au Barbican.
EAUX INCONNUES
L’eau couvre depuis des millénaires 70 % de la surface de la terre, mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’elle semble bénéficier de l’attention qu’elle mérite.
Alors que des inondations extrêmes frappent la côte de Sydney en Australie, la ville a opportunément ouvert la 23e édition de sa Biennale sur le thème des rivières, des zones humides et autres écosystèmes d’eau douce et salée. Intitulée « Rīvus », la biennale vise à donner un rôle à ces systèmes vivants en posant la question suivante : « Si nous les reconnaissions comme des individus, que diraient-ils ? ». Huit des participants à la biennale sont en fait des rivières (dont les rivières Vilcabamba et Napo en Équateur ; et la rivière Baaka/Darling en Australie), prenant ainsi en compte le mouvement mondial de reconnaissance des droits de la nature.
La Biennale de Toronto « What Water Knows, The Land Remembers » prend elle-même comme point de départ son emplacement à côté des Grands Lacs, le plus grand système d’eau douce du monde, pour explorer le fait que l’eau est une archive de toute l’activité de la terre, du passé jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, « Learning from Ice » (2019 – en cours) de Susan Schuppli présente un film documentaire qui examine l’écosystème de la glace, la cryosphère et ses habitants pour apporter une conscience plus profonde des effets du dérèglement climatique.
Dans « Waters’ Witness », à la Fondation de Serralves – Musée d’art contemporain, Porto, Portugal, l’artiste Tarek Atoui nous invite à ressentir les activités industrielles, humaines et écologiques de différentes villes portuaires – Athènes, Abu Dhabi, Singapour, Beyrouth ou Porto – à travers des sons enregistrés dans chaque lieu, transmis par des matériaux tels que des pierres de marbre ou des matières organiques.
Pendant ce temps, à Delft, aux Pays-Bas, un nouveau centre d’art contemporain et d’écologie, Radius, ouvre ses portes le 8 mai dans la station de pompage et le bassin d’eau du château d’eau de Delft, un monument historique et un point de repère architectural. Les 500 m2 d’espace d’exposition souterrain seront inaugurés avec « Emotions Are Oceans », qui présente le travail de 19 artistes, dont Ursula Biemann et Josèfa Ntjam, qui explorent tous la crise mondiale de l’eau.
BLOCKBUSTERS AMERICAINS
Aux États-Unis, au North Carolina Museum of Art, une liste d’artistes dignes d’un Oscar aborde les questions environnementales dans « Fault Lines : Art and the Environment » dont John Akomfrah, Olafur Eliasson, Allison Janae Hamilton ou Richard Mosse. Les œuvres des artistes s’entremêlent à l’intérieur et à l’extérieur du musée et de son impressionnant parc de sculptures, salués par la communauté internationale pour leurs approches innovantes en matière d’économie d’énergie.
Le nouvel espace « The Elemental » à Palm Springs, en Californie, s’ouvre avec l’exposition inaugurale « The Gaia Hypothesis – Chapter One : Earth, Fire, Water, Air » avec des artistes historiques comme Helen Mayer et Newton Harrison ou Ana Mendieta, ainsi qu’une nouvelle génération d’artistes, comme Angelika Markul (qui a également une nouvelle exposition à la galerie Kewening à Berlin). Le centre d’art, lié à la Fondation LAccolade basée à Paris, accueillera également des résidences d’artistes nomades en relation avec les paysages environnants des déserts du Grand Ouest américain.
Au Frederik Meijer Gardens and Sculpture Park des Grand Rapids dans le Michigan, Yinka Shonibare CBE présente des œuvres des trois dernières décennies, dont bon nombre n’ont jamais été exposées aux États-Unis, parmi lesquelles des sculptures, des peintures, des photographies, des collages, des broderies et des films. L’exposition s’intitule « Planets in My Head » (du 1er avril au 23 octobre 2022).
Du côté des galeries, signalons deux temps forts, l’exposition « Mark Dion : Theater of Extinction » à la galerie Tanya Bonakdar à Los Angeles (9 avril – 25 mai 2022) et « washington.stream » de John Gerrard chez von ammon co à Washington (7 mai – 19 juin 2022).
LONDON CALLING
De l’autre côté de l’océan Pacifique, le Barbican à Londres revient à ses premiers amours pour l’écologie, treize ans après son exposition phare « Radical Nature » en 2009. Curatée par l’agence de recherche sur l’avenir FranklinTill, « Our Time on Earth » intègre une approche multidisciplinaire et collaborative qui réunit des universitaires, des architectes, des artistes, des militants, des designers, des écologistes, des scientifiques, des technologues et des écrivains de douze pays. Parmi les points forts, citons « Queer Ecology », une œuvre d’art numérique réalisée par la biologiste colombienne Brigitte Baptiste et l’Institute of Digital Fashion (IoDF), qui associe la lutte pour la justice climatique et les droits des LGBT à une exploration de la fluidité des genres dans la nature. Un autre exemple est « Wither », une création numérique immersive sur la déforestation en Amazonie, créée par l’artiste néerlandais Thijs Biersteker en collaboration avec l’UNESCO – Man and the Biosphère, une collaboration initiée dans le cadre Congrès Mondial de la Nature UICN par l’association Art of Change 21*.
Enfin, la Royal Academy of Arts a choisi le thème du climat pour sa célèbre exposition d’été (du 21 juin au 21 août), un appel annuel lancé aux artistes depuis 1768. Quelle impatience de voir quelles idées émergeront des 1000 œuvres qui composeront la sélection finale ! On constate que plus la crise environnementale augmente, plus la participation des artistes augmente elle aussi. Des participations fortes comme celles-ci nous donnent l’espoir que le changement est plus proche que nous ne le pensons, et peut-être que l’art peut nous montrer la voie.
QUELQUES AUTRES EXPOSITIONS À NE PAS MANQUER :
- Pour ceux qui se rendent à la Biennale de Venise, signalons une autre biennale moins connue, au nord de Venise : la Biennale Gherdëina (20 mai – 25 septembre). Située dans la beauté naturelle des Dolomites en Italie, elle célèbre la multitude de formes vivantes – humaines, animales, végétales, minérales ou mycologiques – qui peuplent cette région « par le biais d’expositions, de rencontres, de performances, de chansons, de contes, de câlins, de livres et d’autres courants d’échange ». L’édition de cette année, « Persones Persons », est co-curatée par Lucia Pietroiusti et Filipa Ramos, et inclut des artistes tels que Chiara Camoni, Alex Cecchetti, Jimmie Durham ou encore Karrabing Film Collective.
- L’ARoS Museum, à Aarhus, au Danemark, inaugure Vertigo, une exposition qui tente de refléter le sentiment de malaise qui émerge de cette période d’imprévisibilité et de changements spectaculaires, avec des œuvres de Cao Fei, Jeremy Shaw et Julian Charrière (9 avril – 11 septembre 2022).
- Michael Wang présente « Lake Tai » à Prada Rong Zhai, Shanghai, avec une série de sculptures et d’installations qui examinent le patrimoine naturel et culturel de la région du lac Tai, interrogeant la pollution et les efforts de conservation qui ont façonné le lac et la rivière ces dernières années.
- Une nouvelle exposition de Katie Paterson « Requiem », à la Ingleby Gallery à Edimbourg, raconte la naissance et la vie de notre planète à travers un seul objet, qui incorpore de la poussière datant de l’époque pré-solaire à nos jours (9 avril – 11 juin 2022).
Auteur: Stefano Vendramin
*: association éditrice de ce blog
Retrouvez l’ensemble des articles d’Impact Art News n°37 Mars / Avril 2022
Le prochain article de cette série portera sur les expositions en France et paraîtra dans le numéro de juin/juillet 2022.
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Expositions :
Biennale of Sydney – 23rd Biennale of Sydney – Rīvus, Sydney, Australie, 12 mars – 13 juin 2022
What Water Knows, The Land Remembers, Biennale d’art de Toronto, Toronto, Canada, 26 mars – 5 juin 2022
Waters’ Witness, Fondation de Serralves – Musée d’art contemporain, Porto, Portugal, 24 février – 28 août 2022
Underland Chapter 1: EMOTIONS ARE OCEANS, Radius CCA, Delft, Pays-Bas, 8 mai – 26 juin 2022
Fault Lines: Art and the Environment, North Carolina Museum of Art, USA, 2 avril –17 juillet 2022
Mel Chin: There’s Something Happening Here, Musée d’art contemporain de Madison (MMoCA), USA, 12 mars – 31 juillet 2022
The Gaia Hypothesis – Chapter One : Earth, Fire, Water, Air, The Elemental, Palm Springs, Californie, 13 février – 1er mai 2022
Angelika Markul: La memoire des glaciers, KEWENIG, Berlin, Allemagne, 28 avril – 2 juillet 2022
Mark Dion: Theater of Extinction, Tanya Bonakdar Gallery, Los Angeles, USA, 9 avril – 25 mai 2022
John Gerrard : washington.stream, von ammon, Washington, 7 mai – 10 juin
Yinka Shonibare CBE: Planets in My Head, Frederik Meijer Gardens and Sculpture Park, USA, 1er avril – 23 octobre 2022
Our Time on Earth, Barbican Centre, Londres, Royaume-Uni, 5 mai – 29 août 2022
Summer Exhibition 2022, Royal Academy, Londres, Royaume-Uni, 21 juin – 21 août 2022
Biennale Gherdëina: Persones Persons, Val Gardena, Italie, 20 mai – 25 septembre 2022
Vertigo, ARoS, Aarhus, Danemark, 9 avril – 11 septembre 2022
Lake Tai, Prada Rong Zhai, Shanghai, 8 avril – 5 juin 2022
Requiem, Ingleby Gallery, Édimbourg, Royaume-Uni, 9 avril – 11 juin 2022
Couverture : Noise Aquarium sera exposé à in Our Time on Earth, Barbican, Londres AQUARIUM, Victoria Vesna / Angewandte Scientific Visualization Lab, 8K Deep Space, Ars Electronica. Linz, Autriche 2018. photo : Glenneroo