Engagée depuis cinq ans dans une programmation artistique liée à l’environnement, la Maison Ruinart a inauguré le 3 octobre le « 4 RUE DES CRAYÈRES » à Reims : un nouveau bâtiment dédié à l’hospitalité et à l’art baptisé le pavillon Nicolas Ruinart, ainsi qu’un parcours artistique en extérieur inspiré par le travail de la vigne, la géologie particulière du lieu ainsi que la crise climatique que traverse la région. Parmi les artistes commissionnés, Marcus Coates et Thijs Biersteker apportent un regard inédit sur la biodiversité du vignoble.

Plus d’une vingtaine d’œuvres d’art contemporain viennent irriguer le domaine de la plus ancienne maison de champagne et ponctuent une déambulation dans le parc paysager dans la cour d’honneur, dans les espaces historiques ainsi que dans le nouveau bâtiment construit par l’architecte japonais Sou Fujimoto. La présence artistique est historique chez Ruinart, inaugurée en 1896, avec Alphonse Mucha. Elle se concrétise chaque année par des collaborations avec des artistes (Tomás Saraceno, Eva Jospin, Vik Muniz…) dans les foires d’art ou encore dans ses crayères de l’époque médiévale, classées à l’Unesco.

Entrant dans les lieux par un écheveau souterrain, le visiteur rencontre d’abord la roche avant d’apprécier les lignes fluides des allées du parc paysager pensé par l’architecte paysagiste Christophe Gautrand. Les œuvres ont pris place parmi une sélection d’essences adaptées au changement climatique. La sculpture en trois éléments L’Escargot,la chaussure de travail et la flûte à bec du duo Dewar et Giquel, sorte d’archéologie contemporaine, en pierre de Chavigny, couleur champagne, suggère des relations entre nature et culture, à la fois la lenteur de la vigne et le long processus du travail dans les champs.

Thijs Biersteker, ‘Xylemia’, crédit photo © Alice Audouin; et Côme di Meglio, ‘Le chant des origines’, crédit photo © Raul Cabrera

Dans son sillage, Xylemia de Thijs Biersteker (lire notre interview) interagit avec les informations sur la santé des arbres, notamment le flux de sève. Par des signaux lumineux, les données sont restituées en temps réel, captivent et suscitent l’émotion chez le promeneur. De ces ponctuations lumineuses pourront naitre une prise de conscience de l’intelligence de ces êtres vivants.

Le champ des origines de Côme di Meglio* invite les visiteurs à ressentir la vibration d’un gong dans les profondeurs d’une arche en mycélium, jusqu’à songer à la vie rhizomatique présente dans le sol. Cette œuvre vivante est vouée à se transformer au grès du temps, des conditions météorologiques, les oiseaux et les insectes pouvant y trouver refuge.

Lélia Demoisy, ‘Between us’, crédit photo © Ruinart – Mathieu Bonnevie

A proximité et visible pleinement de nuit, l’installation Between us (Entre nous) de Lélia Demoisy** évoque une relation d’interdépendance entre deux érables : des cercles de lumière, telle l’expression d’un réseau de vie du sol vers la canopée, les relient.

En avançant plus loin le long des allées, nous apercevons Capriccio d’Eva Jospin** véritable caprice (ou fantaisie micro-architecturale) qui rappelle le rôle des artistes dans les jardins princiers. L’artiste était invitée par la Maison Ruinart en 2023 pour sa fameuse carte blanche.

Dans la cour, la sculpture monumentale d’Henrique Oliveira, réalisée à partir de chutes de contreplaqué, dresse un cep de vigne géant et exprime la puissance des entrelacs des arbres des forêts tropicales humides d’Amazonie. A l’entrée du pavillon Nicolas Ruinart, en pierre de taille et en verre, conçu par l’architecte japonais Sou Fujimoto, Nature calendar, un drapeau hissé quotidiennement de Marcus Coates (lire notre interview) propose un nouveau calendrier au rythme quotidien de la nature. Chaque jour est annoncé un évènement de la biodiversité alentour, de l’hibernation des coccinelles aux naissances de chauve-souris, créant une connexion profonde à une nature bien présente mais souvent invisible à l’œil nu.

Henrique Oliveira, ‘Desnatureza 6’, crédit photo © Raul Cabre ; et Marcus Coates, ‘Nature calendar’, crédit photo © Ruinart – Mathieu Bonnevie

A l’intérieur du pavillon, on peut contempler LHS 1140 c/M+M (2019), de Tomàs Saraceno (lire notre interview), sculpture géométrique en facettes de verre miroir, de sa série Cloud Cities. Rappelons qu’à l’été 2021, sa structure post-fossile Aerocene s’envolait dans la cour d’honneur du vignoble. Le dessin de son vol fut restitué grâce à un dispositif de réalité augmenté.

Plus loin dans le jardin, parmi la végétation, surgit une arche de Cornelia Konrads, réalisée à partir de ceps de vigne, qui furent conservés précieusement par la maison Ruinart, en équilibre sur une structure.

Cornelia Konrads, ‘The Arch’, crédit photo © Ruinart – Mathieu Bonnevie 

Son installation dialogue avec la sculpture de Nils Udo : une grotte taillée dans une roche calcaire locale dans laquelle se niche une coquille monumentale en marbre. Il est question autant de fragilité de l’œuf que de préciosité, à l’image des flacons de champagnes couvés dans les profondeurs des crayères.

Porté avec passion par le président de la Maison Ruinart Frédéric Dufour et son directeur de l’art et de la culture Fabien Vallérian, « 4 rue des crayères » inaugure un dialogue entre le monde viticole et l’art qui sera enrichi par d’autres œuvres à venir et qui continueront à questionner l’histoire de la Maison Ruinart à l’aune de la crise climatique actuelle, très prégnante en Champagne.

*lauréat du Prix Planète Art Solidaire d’Art of Change 21
**lauréat du Prix Art Eco-conception d’Art of Change 21

Autrice : Pauline Lisowski

Traduction : Eliza Morris

Image de couverture : Dewar & Gicquel, ‘L’escargot, la chaussure de travail et la flûte à bec’, crédit photo © Ruinart – Mathieu Bonnevie

S’abonner à Impact Art News (gratuit) : ici

Impact Art News, September – October #50