L’artiste contemporain Haroon Mirza est né à Londres en 1977, où il vit et travaille.
Alice Audouin : Quand et comment avez-vous intégré l’énergie solaire dans votre oeuvre ?
Haroon Mirza : Je l’ai découverte par accident ! Je devais installer une oeuvre à la Villa Savoye, où utiliser le système électrique n’était pas une option, j’ai donc utilisé l’énergie solaire comme solution. À la suite de cette expérience, j’ai commencé à utiliser des panneaux photovoltaïques comme source d’énergie mais aussi comme élément sculptural. Ce medium me permet de réfléchir à la place du soleil dans un futur post-carbone à la fois d’un point de vue technologique et symbolique. L’électricité est devenue mon principal médium d’expression.
Vous avez un regard anthropologique sur l’énergie solaire. Comment cette énergie pourrait changer la société si elle était généralisée ?
Notre lien à l’environnement peut évoluer dans le bon sens grâce à l’énergie solaire, qui est bien plus écologique que les énergies fossiles. Contrairement au pétrole, les gens peuvent voir la source d’énergie juste au-dessus de leur tête, le soleil ! Tout comme les panneaux solaires autour d’eux. Ils comprennent donc intuitivement comment cela fonctionne. Cette connexion directe aux éléments et au cosmos est un premier pas important vers une relation plus saine avec la Terre et vers la fin de notre surconsommation occidentale. Voir en direct ce que cette étoile nous apporte peut nous inspirer de la gratitude envers cette dernière. C’est ce que je m’efforce de faire dans mon travail, créer des rituels qui nous aident à vénérer la nature.
Vous avez une grande connaissance des technologies et des avancées de la recherche scientifique en matière d’énergie solaire.
Oui, je suis fasciné par l’énergie solaire d’un point de vue scientifique. Mon intérêt personnel pour elle m’a permis de me rendre compte à quel point le défi environnemental est difficile à relever, tant d’un point de vue technologique que sociologique.
Je suis actuellement impressionné par la recherche sur la matière condensée, qui met au point des matériaux supraconducteurs à des températures moyennes, ce qui rendrait l’énergie solaire exponentiellement plus efficace. Si nous y parvenons, une seule ferme solaire permettrait d’alimenter un pays entier en énergie. Jusqu’ici, nous ne pouvons pas considérer l’énergie solaire comme une solution durable qui pourrait remplacer complètement le pétrole ou même l’énergie nucléaire. Le travail que je crée est ancré dans la recherche scientifique et technologique, et bien qu’il soit poétique, il est basé sur un long processus de recherche.
Vous participez à de nombreuses expositions au Moyen-Orient. Est-ce une région qui vous attire particulièrement ?
Le Moyen-Orient est une région qui investit des budgets importants dans l’art et la culture. Leur ambition est d’accueillir les meilleures galeries, musées, écoles d’art et institutions. Elle est aussi en première ligne en matière de réchauffement climatique. Du fait de son climat désertique, sa culture est profondément marquée par l’adaptation à des conditions climatiques extrêmes, elle possède des savoir-faire anciens pour faire face aux fortes chaleurs. Il est préoccupant de voir qu’au lieu de chercher des solutions au sein même de ses traditions ou de réduire sa consommation de pétrole, cette région adopte un mode de vie à l’occidentale, avec la climatisation 24h/24 et des véhicules énergivores. Je suis sûr que cela va changer, que son état d’esprit va évoluer et mon but est de contribuer à la sensibilisation au climat.
Actuellement, je participe à la Biennale des arts islamiques « Awwail Bait », qui vient d’ouvrir à Djeddah en Arabie Saoudite, à l’exposition collective « From Spare to Spirit » du festival d’art et de lumière Noor Riyadh et également à l’exposition « Notions on Time » de la Fondation Ishara à Dubaï. Fin février, l’oeuvre que j’avais créée pour « Novacène », Dyson Sphere, sera exposée à la New York University d’Abu Dhabi, au sein du groupe show « The Only Constant ».
Pouvez-vous nous en dire plus sur Dyson Sphere ?
Cette oeuvre est fondée sur le concept éponyme, imaginé en 1960 par le scientifique Freeman Dyson, une mégastructure capable d’envelopper une étoile et d’en capturer l’énergie. La Dyson Sphere est un témoignage de l’obsession humaine du progrès. Cette oeuvre pose une question philosophique à notre espèce face aux enjeux climatiques et énergétiques : sommes-nous une espèce parasite qui absorbe toutes les ressources de la planète ? Ou voulons-nous instaurer une relation symbiotique avec le reste de la biosphère ? Face à cette possibilité dystopique nous sommes amenés à imaginer un monde où l’énergie solaire devient une source d’énergie pérenne, une nouvelle utopie.
Sur un plan énergétique, comment pouvons-nous aider à accélérer la transition écologique ?
Le système actuel n’est pas efficient. Les oiseaux le sont, contrairement aux voitures, car leur ratio énergie dépensée/distance est optimale. Un humain, faisant le choix de se déplacer en vélo est beaucoup plus efficient sur le plan énergétique qu’en conduisant une voiture qui consomme une énergie considérable. Peu de technologies ont un impact positif en matière d’efficacité énergétique.
Après votre solo show dans la nouvelle galerie de Max Goelitz à Berlin, vous inaugurez une nouvelle exposition à la Lisson Gallery à Londres le 24 février. Qu’est-ce que son titre « III » signifie ?
Je vais présenter des installations autour de la fréquence 111 Hz. Cette fréquence a de nombreuses vertus méditatives, thérapeutiques et curatives. De fait, on retrouve cette fréquence au cœur de nombreux anciens rituels. J’utilise à la fois des synthétiseurs et des instruments anciens, comme par exemple le bol tibétain ou encore un harmonium Indien connu sous le nom de boite Shruti. Ce n’est pas la première fois que cette fréquence m’a inspirée, mon oeuvre MindFlip a été activée pendant 111 heures pour le programme live de Frieze en 2020. Cette exposition va réunir du son, des plantes, des fourmis et des panneaux solaires, dans un dialogue ultra-connecté avec nos esprits.
En conversation avec Alice Audouin
Décembre 2022
Couverture : Haroon Mirza Photo © David Bebber
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