Les nuages représentent le point central de votre recherche artistique. Pourquoi ?
Pour moi, les nuages confrontent à l’inconnu. Ils sont toujours en mouvement, constamment en devenir. Je suis en discussion avec des climatologues depuis plusieurs années. J’apprends avec eux qu’il y a d’innombrables processus dans l’atmosphère qui restent inconnus. Cette idée de l’inconnu m’inspire. En ce sens, ma pratique artistique consiste à aller au-delà des faits et à tendre vers le sensoriel, afin d’aborder des choses que le langage ne suffit pas à expliquer. Les nuages sont constitués d’un ensemble de micro-évènements invisibles, initiés par la condensation de minuscules particules d’air dans l’atmosphère, appelées aérosols. Le moment incroyablement bref mais crucial de la transformation, appelé « sursaturation », est d’une grande importance pour notre climat mais reste relativement incompréhensible pour nous.
Ma fascination pour l’air et les aérosols atmosphériques tient au fait qu’il s’agit d’une matière complexe, qui influencent les nuages et qui ont des effets considérables sur le système climatique. Le vent, la pluie, la formation des nuages et les aérosols sont tous interconnectés. Les nuages marins, par exemple, sont différents des nuages de forêt en raison du sel de l’océan. Les aérosols sont également un moyen idéal d’approfondir le thème de la pollution atmosphérique.
Dans le cadre de mon projet de recherche à long terme « Supersaturation », j’ai créé une installation vidéo dans laquelle plusieurs couches d’informations invisibles sont combinées pour offrir une expérience sensorielle. Au fur et à mesure que le temps passe, la vidéo « sature » en couleurs, en mouvements et en sons.
Comment intégrez-vous la technologie et les données dans votre pratique ?
Mes œuvres sont en évolution continue, grâce à une technologie interactive et des données en temps réel mesurées directement dans l’atmosphère. L’œuvre réagit aux conditions atmosphériques environnantes et aux changements invisibles de l’environnement. Grâce à la technologie et à l’art, nous pouvons créer une relation nous ne pourrions pas avoir autrement. Je m’intéresse à l’environnement, non seulement à travers ce qui est visible, mais aussi à travers ce qui ne l’est pas. J’aime développer une expérience graduelle qui, je l’espère, sera ressentie par le public. Au cours de mes expositions, il y a toujours un processus en cours ou un changement matériel. L’une des raisons pour lesquelles je travaille avec des données en temps réel est qu’elles permettent d’élargir l’expérience, une fois que les visiteurs savent d’où elles viennent. Cela permet au spectateur de s’engager à un niveau plus personnel. Il existe une quantité croissante de données climatiques dans le monde. Tout le monde devrait être en mesure de les comprendre et de voir leur potentiel. L’art peut encourager cela.
Vous êtes basée entre Helsinki et Londres. L’environnement est-il abordé différemment dans ces deux villes ?
En Finlande, nous avons un rapport très différent à la nature car notre pays y est très lié, tant culturellement que géographiquement. Comme ma pratique artistique consiste à explorer cette relation, voire à en renforcer la conscience, avoir un accès direct à la nature et aux processus naturels est crucial pour moi. Londres me donne de l’inspiration, de l’intensité et d’autres types de collaboration. Pour moi, il est bon d’avoir un équilibre entre les deux pays et les deux environnements – la ville et la nature. Bien sûr, Helsinki est aussi une ville mais j’ai une forêt à l’extérieur de mon atelier.
Vous ne vous reconnaissez-pas dans le terme « art environnemental ». Comment qualifiez vous votre travail et qui inspire votre démarche ?
Oui, plutôt que « art environnemental », j’utilise souvent le terme « interaction climatique » car il s’agit de mieux communiquer avec le climat. Cependant, pour moi, il s’agit d’interactions entre le public et l’œuvre. Dans mon travail, je suis inspirée d’auteurs tels que Maurice Blanchot et Giorgio Agamben. Tous deux parlent de « passivité radicale » – l’absence ou les espaces silencieux d’où émerge le langage. Afin de casser nos schémas de pensée habituels et de créer quelque chose de nouveau, nous devons réinventer cette absence. Lorsque je travaille avec un résultat inconnu, ou avec quelque chose qui est perdu dans l’instant – comme le bref moment de vie d’un aérosol – j’ai toujours affaire à un espace de possibles. En ce qui concerne l’environnement et le changement climatique, nous avons également besoin de rompre avec les conventions, les circuits établis. C’est pourquoi j’ai choisi d’avoir une approche plus philosophique pour m’engager dans l’environnement plutôt que de parler directement de politique. Mon travail porte davantage sur les expériences subtiles et l’imagination poétique, car je pense que cela peut déclencher un espace de potentialités, qu’il soit angoissant, porteur d’espoir ou les deux. C’est lié à l’expérience de l’inconnu inhérente aux nuages, car pour renouveler réellement notre être sur Terre, nous devons aussi nous « méconnaître ».
Sur quels autres sujets travaillez-vous ?
Je m’intéresse également beaucoup à la symbiose entre l’air, les nuages et les forêts boréales, qui sont les forêts les plus septentrionales et les plus froides de la planète. Par exemple, l’air à une odeur particulière, liée la chimie qui produit des nuages spécifiques au-dessus des forêts boréales. « Atmospheric Un/knowing » est une promenade que j’ai créée dans la forêt boréale du sud de la Finlande. Le long du chemin, des poèmes atmosphériques transparents révèlent et réécrivent le nuage pour nous. Les nuages sont toujours sensibles aux changements environnementaux. C’est ce genre de sensibilité que j’entends retranscrire avec mon travail.
Une actualité à annoncer ?
En septembre, j’aurai une résidence à l’Institut finlandais d’Athènes pour travailler sur le concept de Kairos et en novembre, je participerai à une exposition à Londres du groupe de recherche Intelligence Debiased organisée par Exposed Arts Project. D’autres annonces sont aussi dans les tuyaux !
Stefano Vendramin
Plus d’information : www.josefinanelimarkka.com
Traduit par Hélène Geber
Impact Art News, numéro Mai/Juin 2022