Art of change 21 – Quand avez-vous commencé à recycler des matériaux usagés dans votre travail ?
Manish Nai – Collecter de objets usagés est à la fois une passion et une obsession. Ils sont partout autour de moi dans mon quotidien. Il est temps de comprendre notre manière de consommer et d’agir face à l’hyperconsommation. Le gaspillage est partout en Inde. Mon pays génère près de 60 millions de tonnes de déchets chaque année et seulement une infime partie est valorisée via le tri réglementé. Il y a donc un énorme marché de seconde main où l’on troque ou échange de vieux habits contre de la vaisselle neuve par exemple. J’ai moi-même collecté des objets usagés pendant très longtemps. J’aime me promener dans les marchés de seconde main, collecter puis stocker mes trouvailles. Ces rebuts sont entrés dans mon travail d’artiste en 2011, lorsque j’ai décidé de réutiliser de vieux vêtements qui avaient été jetés. J’ai réalisé trois petites sculptures avec, j’ai compressé les vêtements à la main. Aujourd’hui, j’utilise également de vieux journaux, cartons, livres que je collecte auprès de mon entourage, de mes amis et ma famille. Je travaille avec des éléments usagés, mais cette démarche n’est que le point de départ ; mon objectif principal est le processus de transformation. Mon art est entièrement dédié à la transformation, j’aime cela. Prenez le papier journal par exemple : je le mets dans l’eau, les images deviennent floues, et j’arrête lorsque j’atteins l’effet visuel que je désire, comme un objet qui aurait été déformé par le temps. Tout mon travail porte sur le temps et l’espace. Élargir le temps et réduire l’espace. La réduction est une notion centrale pour moi, que je mets en pratique par la compression. J’ai réalisé ces compressions d’abord à la main. Maintenant j’utilise des machines, notamment pour le métal que je ne peux compresser manuellement.

AOC21 – Votre processus de transformation consiste à réduire le volume tout en étirant le temps. Dans ce sens, il peut être relié à une démarche écologique. Car qu’est-ce que l’écologie, sinon créer plus d’expérience avec moins de matière ?
M.N. – Si les gens observent mes œuvres – et qu’ils prennent le temps de le faire – je suppose qu’ils pourront ressentir dans ma création quelque chose de l’ordre de la relation à l’espace et au temps, impliquant une valorisation du temps et une minimisation de la consommation. Je suis heureux si je contribue à une prise de conscience plus écologique et si les gens voient dans mon travail un message écologique, mais lorsque je crée, je me concentre seulement sur le processus de transformation et mon intention n’est pas de délivrer un message. De plus, le message dépend de celui qui le reçoit. En Europe, là où le upcycling est tendance, et où la fast-fashion est mise en cause, je suis souvent considéré comme un artiste du recyclage. Quelqu’un m’a dit une fois que j’étais « le maître du monde de la seconde-main », je le prends comme un compliment ! Je suis fier que mon travail corresponde à des valeurs écologiques, mais ce n’est qu’une conséquence involontaire de mon travail. En Inde, où le recyclage est très courant, je suis plutôt perçu comme un artiste contemporain utilisant des objets de la vie quotidienne.

AOC21 – Quel a été l’impact de la Covid sur votre vie ?
M.N. – La Covid a été très intense à Mumbai. Nous avons été confinés de mars jusqu’à juin. Je ne pouvais me rendre à mon studio, ni personne de mon équipe. J’ai dû travailler chez moi, mais je n’avais aucun matériel pour travailler. J’ai donc emprunté les crayons de couleurs de mon fils et la seule chose que je pouvais faire était de dessiner. Cela m’a rappelé ma jeunesse lorsque j’étais étudiant, vivant dans une chambre et créant de chez moi. J’ai aussi pris des photos depuis ma fenêtre, que j’ai postées sur Instagram. Toutes les terrasses autour de mon domicile sont devenues très vivantes pendant le confinement, avec des personnes faisant du sport, jouant, dinant… Ce moment de réclusion à la maison a également été un temps dédié à ma famille. Cette période de confinement a permis de ralentir, ce qui est une bonne chose en un sens. Mumbai va trop vite. Notre consommation frénétique a été arrêtée de force et non par choix – ce que je préfèrerais. Cela m’a permis de réfléchir à mon travail.
En juin, j’ai pu regagner mon atelier, mais rien n’est revenu à la normal pour le moment. Encore aujourd’hui, j’ai besoin d’une permission pour m’y rendre, et nous sommes limités à un certain nombre de personnes à l’intérieur du studio. J’ai mis en place des règles sanitaires pour la machinerie. Toutes les habitudes de l’atelier ont été bouleversées. Une nouvelle vie commence. Avec plus d’intimité.

Crédits : Anil Rane

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Conversation conduite par Alice Audouin, Septembre 2020

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