Art of Change 21 – Comment vivez-vous la crise sanitaire actuelle ?
Jérémy Gobé – Comme un arrêt brutal. À l’arrivée du confinement, j’avais 5 expositions de prévues, j’étais stressé et surchargé. Je me rends compte que cette course est une forme de précarité, qui empêche de faire des pauses, des bilans, et elle est d’autant plus intense pour de jeunes artistes comme moi qui n’ont pas de visibilité financière ni de galerie. Courir et agir à court terme se révèle toxique. Cet arrêt forcé permet de penser à long terme. J’essaie de vivre cette crise comme une pause salutaire, pour devenir un meilleur artiste, réorganiser ma vie et mon travail.
J’essaie aussi de mettre le stress financier au second plan. Il y a heureusement à court terme des solutions de solidarité, comme Les amis des artistes, où j’ai proposé des œuvres à des prix avantageux.
« Quelle place l’art peut-il avoir, dans une situation d’urgence ? »
AOC21 – La crise actuelle va-t-elle changer l’art contemporain selon vous ?
J.G. – Elle remet en cause ses fondamentaux, la manière de créer, le rôle de l’artiste. Présenter un objet dans un espace public doit aujourd’hui trouver une alternative, car on ne sait pas quand cela sera de nouveau possible. Faut-il aller vers des formes numériques ? Pour un artiste comme moi qui a toujours prôné le contact physique avec l’œuvre, c’est dur à envisager, pourtant je suis persuadé que l’exposition telle qu’elle existait jusqu’il y a deux mois dans un lieu avec des objets, sera un jour dépassée. Concernant le rôle de l’artiste, là aussi, il faut se réinventer. Personne n’a besoin de nous aujourd’hui. Il y a des urgences de masques, de matériel médical. Quelle place l’art peut-il avoir dans une situation d’urgence ? Quand je vois la décoration de tous ces domiciles qui nous apparaissent à l’écran, je suis consterné, je ne vois aucun objet d’art, y compris chez les médecins. Les gens semblent vivre sans art et s’en accommoder. À quoi sert-on ?
Cette crise est comme un crash test sur la finalité de l’art. La mienne tient le choc, parce que je vois l’art comme une action de résilience. Pour moi, la finalité de l’art est de créer un langage commun avec les différents domaines de la société, pour renforcer le sentiment de bien commun. Dans la période actuelle, mon profil atypique prend son sens : sauvegarder le corail, développer des éco-matériaux, développer le PLA, sensibiliser et éduquer à la biodiversité, toutes ces actions correspondent à ma définition personnelle de ce qu’est un artiste. Je me sens utile.
AOC21 – L’écologie va-t-elle sortir gagnante ?
J.G. – Je l’espère ! Tout le monde semble enfin le comprendre, la pandémie vient de notre rapport destructeur à l’environnement. On va tous développer des modes de vie et des pratiques plus écologiques, car nous sommes tous co-responsables de la situation actuelle.
Vivre un confinement à Paris, avec une qualité de l’air et le bruit des oiseaux, est une expérience incroyable. Retrouver si vite une qualité de vie donne de l’espoir, on se dit que c’est possible. La résilience de la nature peut être très rapide, on le voit, cela veut dire que l’on peut réparer rapidement certaines choses, comme le climat, la pollution et la chute de biodiversité. L’achat local revient en force, l’intérêt pour la nature aussi. Je veux être optimiste.
AOC21 – Où en est votre projet « Corail artefact » visant à protéger la barrière de corail ?
J.G. – Ce projet est porté par un fonds de dotation. Il réunit de nombreuses parties prenantes, scientifiques, industriels, mais aussi des acteurs de l’art, comme Claire Durand-Ruel, très engagée à mes côtés. En 2019, on a fait un premier protocole de recherche qui a montré que la dentelle en coton biologique est un support potentiel de développement du corail. La prochaine étape est d’améliorer ce support, pour le rendre aussi efficace que les supports existants et polluants comme ceux en plastique. Les tests prévus sur le terrain, dans le Pacifique, sont hélas reportés avec le coronavirus !
Corail Artefact, Jérémy Gobé – photo Manuel Obadia Wills
Plus d’informations sur Jérémy Gobé, ici
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Conversation avec Alice Audouin, Mai 2020.
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