Conversation avec l’artiste Michael Wang

Art of Change 21 – Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l’environnement ?
Depuis mon plus jeune âge, je suis proche de la nature. Mon père est géophysicien, quand j’étais enfant j’étais fasciné par un gigantesque globe rotatif sur son lieu de travail. Cette image a sans doute influencé mon désir de travailler à une échelle planétaire. La grandeur du temps géologique est toujours dans un coin de ma tête.
Plus tard, ma pratique a été influencée par l’Institutional Critique et le Land Art, avec Hans Haacke, Nancy Holt, Robert Smithson. J’ai d’abord étudié l’architecture, que je percevais comme un pont entre l’art et le monde réel. Aujourd’hui comme artiste, c’est le monde réel dans sa plus grande échelle qui m’intéresse.  

AOC 21 – Extinct in the Wild (Éteint à l’Etat Sauvage), est votre projet majeur, qui part de la véritable liste scientifique du même nom, publiée par l’UICN, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature… Pourquoi cette thématique ?
La relation entre nature et culture est au cœur de mon travail et la liste Extinct in the Wild publiée par l’UICN se fonde sur une séparation nette entre les deux. J’ai été attiré par cette catégorie précisément parce qu’elle me permet de me concentrer sur ce fossé, sur ce qui est perçu comme sauvage et ce qui ne l’est pas.
Extinct in the Wild se concentre sur la faune et la flore qui ne se trouvent plus dans la nature, et qui survivent exclusivement dans le cadre d’activités humaines, en culture ou en captivité. La liste des espèces qui entrent dans cette catégorie est en constante évolution. De nouvelles espèces sont ajoutées et d’autres, plus rarement, sont enlevées. Ces changements reflètent à quel point nous, les humains, influençons la biodiversité. Dans les expositions sur ce projet, je sélectionne et transporte ces organismes vivants, considérés comme éteints dans la nature, dans le champ de l’art. Chaque espèce est présentée avec le dispositif nécessaire à sa survie, adapté à ses besoins spécifiques. Le personnel de l’exposition est formé pour prendre soin des espèces en question, qui ne peuvent pas survivre sans l’entretien de ces personnes et de la technologie. Au lieu d’être des êtres naturels, ces espèces sont perçues comme des produits culturels, qu’il s’agisse de l’horticulture, de la recherche scientifique ou du commerce des animaux de compagnie exotiques !
Pour l’exposition Extinct in New York, j’ai choisi des espèces de plantes, d’algues et des lichens qui ont disparu de la ville de New York. J’ai passé un an à cultiver une cinquantaine de ces espèces que j’ai pu prélever ailleurs, dans le jardin de mon atelier à New York, avant de les exposer temporairement sur Governor’s Island. Après l’exposition, ces plantes ont été réparties dans les parcs de la ville. Elles font de nouveau partie de la ville, mais ne persistent que sous la garde et la supervision des jardiniers.
Ce travail porte un rêve, celui d’une ville différente, une ville construite non seulement pour les humains, mais aussi pour d’autres espèces, y compris celles que la ville d’origine a chassées du fait de la croissance urbaine, de la chimie dans l’eau, du drainage des zones humides et du changement climatique. Comment pouvons-nous cohabiter ? Mon objectif est de promouvoir la diversité dans toute sa spécificité et de multiplier les relations inter-espèces par le biais des pratiques du Care.

Crédits: Michael Wang, Carbon Copies, gracieuseté de l’artiste, 2012 /
Michael Wang, Drowned World First Forest, gracieuseté de l’artiste, 2018

AOC 21 – Quelle est la prochaine espèce éteinte que vous explorerez ?
Le Carolina parakeet, une perruche de l’Etat de Caroline ! Une espèce endémique de petit perroquet vert, qui n’a plus été vu depuis les années 1930. J’explore la façon dont cet oiseau, qui ne vit plus dans la nature, continue de vivre symboliquement dans la culture américaine. Récemment, cet oiseau a été inclus dans un jeu vidéo à succès, Red Dead Redemption 2. Terrence Malick a également créé virtuellement une perruche de Caroline pour son film The New World en 2005. Le perroquet, un symbole de mimésis, fait l’objet d’une myriade de représentations mimétiques. 

AOC 21 – Dans The Drowned World (Le Monde Inondé), qui a été l’un des temps fort de Manifesta à Palerme en 2018, vous avez présenté des plantes afin de parler des énergies fossiles…
Oui, je voulais explorer l’origine ancienne des combustibles fossiles, pour révéler les origines organiques cachées du monde moderne. La photosynthèse est à l’origine de pratiquement tous les combustibles fossiles, et pourtant les gens ont tendance à ignorer cet héritage végétal. La plupart des réserves mondiales de charbon ont été constituées à partir des vestiges fossilisés des toutes premières forêts du monde : les marais carbonifères vieux de 300 millions d’années.
Pour l’installation à Palerme, j’ai recréé une forêt vivante, « Carbonifère », sur le site d’une centrale à charbon abandonnée. J’ai sélectionné des espèces végétales liées aux anciennes espèces : des fougères arborescentes, des cycadées et des araucarias. Toutes ces plantes existaient avant l’apparition des fleurs. J’ai installé cette forêt, allant de petites fougères terrestres à des arbres de 10 mètres de haut, entre les gazomètres en décomposition. Les origines vivantes du charbon sont revenues coloniser le site même où le charbon a été vaporisé pour former du combustible. En 2020, j’ai utilisé des images de drones de cette installation et je les ai intégrées dans un court métrage sur l’histoire du climat, qui imagine un avenir possible dans lequel le changement climatique « restaure » le climat plus chaud du début de l’ère carbonifère.

AOC 21 – Il y a une dizaine d’années, vous avez eu un projet pour compenser les émissions de carbone dues à la production d’œuvres d’art contemporain, Damien Hirst et Jeff Koons étaient sur la liste !
Il s’agissait d’un projet appelé Carbon Copies. J’ai calculé les émissions carbone émises pour la production d’œuvres d’art très connues, puis j’ai fait des petites copies en papier, des Copies Carbone, qui reflétaient l’échelle de l’empreinte carbone de chaque œuvre. Le prix de chaque Copie Carbone était le montant exact nécessaire pour compenser cette quantité de dioxyde de carbone émise par l’œuvre d’art originale, via l’achat de certificats de compensation carbone. L’objectif n’était pas moralisateur, même si le projet s’est vu reproché de l’être. Il s’agissait seulement de faire comprendre que presque toutes les actions humaines, y compris celles relevant de la création artistique, se traduisent par des émissions de CO2. Le carbone est enchâssé dans toute création. Je voulais montrer que, dans un sens, toutes les œuvres d’art sont aussi une sorte de land art, un art aérien, car chaque œuvre a une existence invisible dans l’atmosphère terrestre, sous forme de CO2, comme une ombre dont personne n’a vraiment conscience.
Je pense que les artistes et tous les acteurs de l’art (collectionneurs, institutions…) devraient être conscients de leurs impacts environnementaux. Dans mon travail avec les plantes vivantes et, plus rarement, les animaux, je dois prendre de nombreuses décisions ayant des implications éthiques. Beaucoup de mes expositions sont temporaires, et je dois penser à l’après, à ce que vont devenir les organismes vivants, et leur préparer une nouvelle vie après l’exposition, et également donner une seconde vie aux matériaux.

AOC 21 – Pour vous, que modifie la pandémie actuelle ?
Au-delà des crises sociales et économiques, il y a de profonds changements culturels. Cette crise permet de mieux comprendre les relations intra et inter-espèces dans le monde dans lequel nous vivons. Nous nous rendons compte que nous, les humains, ne sommes pas en dehors du monde naturel, mais inextricablement liés à celui-ci, nous sommes liés aux chauves-souris, aux virus, au travers de relations dynamiques et interactives. Dans ce contexte, les penseurs qui ont été importants pour mon propre travail, comme Donna Haraway ou Anna Tsing, rencontrent enfin un public plus large. Les sujets d’enchevêtrement ou d’interconnexion entre les espèces résonnent aujourd’hui avec l’expérience vécue.

AOC 21 – Comment définiriez-vous votre rôle d’artiste, si un artiste doit en avoir un?
Les questions écologiques peuvent être difficiles à comprendre parce qu’elles sont soit trop macro, soit trop micro. Pour moi, les artistes peuvent jouer un rôle permettant à ces questions d’être ressenties, d’être rendues visibles. Je suis content de voir qu’une conception très étroite de ce qui constitue l’art environnemental s’élargit enfin dans le monde de l’art. L’art écologique ne peut pas être une « niche » parce qu’une pratique environnementale est nécessairement liée à toutes les autres formes d’activisme artistique. 

AOC 21 – Quels sont vos prochains projets ?
J’espère me rendre à Shanghai pour participer à la Biennale de Shanghai, qui devrait ouvrir en avril. Je suis prêt à faire une quarantaine de trois semaines s’il le faut ! J’y présente une œuvre qui met l’accent sur les dimensions écologiques, culturelles et technologiques du fleuve Yangtsé. Dans ce travail, je recrée à Shanghai, au terminus du fleuve, un fragment du glacier qui forme l’origine de ce fleuve. La technique de réfrigération que j’utilise est alimentée par le réseau électrique de Shanghai, qui provient justement du barrage des Trois Gorges, le principal barrage sur le Yangtsé qui est en fait la plus grande centrale électrique du monde. Ainsi, le fleuve, dans un sens, alimente sa propre représentation.
Comme pour The Drowned World, cette œuvre relie une énergie actuelle et son origine naturelle. Le charbon est une ressource surexploitée et menacée : les 300 millions d’années nécessaires pour créer le charbon se volatilisent dans une exploitation frénétique en quelques centaines d’années.  Les glaciers à l’origine du Yangtsé sont également menacés. Le changement climatique réduit ces glaciers himalayens, dans une région parfois connue sous le nom de « Troisième Pôle » de la terre.
En 2021, Extinct in the Wild sera également exposé dans le cadre d’une exposition d’art contemporain organisée par Art of Change 21* lors du prochain Congrès de l’UICN à Marseille. 

Alice Audouin

Plus d’informations : michalwang.info

 

Février 2021

Crédit : portrait de Michael Wang, gracieuseté de l’artiste, 2020 / Michael Wang, Extinct in New York, gracieuseté de l’artiste, 2013

Retrouvez le numéro d’Impact Art News n°27 – Février 2021

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