La prolifération des biennales d’art dans le monde témoigne de l’importance croissante de ce mode d’exposition. Elles s’imposent comme des outils précieux pour naviguer dans le monde complexe de l’art contemporain, tout en servant de plateformes pertinentes pour explorer des sujets tels que la crise climatique. En observant les contenus des biennales actuelles, passées et à venir, elles apparaissent mieux prédisposées que d’autres formats pour aborder les défis environnementaux mondiaux et développer un discours critique sur la transition écologique. Comment l’expliquer ? Quelles sont les raisons qui font que les biennales sont à la pointe?

Une partie de la réponse tient à leur situation géographique, nombre d’entre elles se tenant dans des régions du Sud (Afrique, Amérique latine, Asie du Sud-Est…) ou dans des parties de l’Europe (Finlande, Grèce…) qui sont affectées par le réchauffement climatique (canicules, sécheresse, incendies, inondations…). Les biennales qui ont lieu dans ces régions présentent un point de vue plus authentique sur ces questions et explorent des solutions d’adaptation et des alternatives. Par ailleurs, leur statut non commercial leur permet de collaborer avec des commissaires d’exposition eux-mêmes engagés sur des valeurs durables et l’expérimentation, sans avoir à privilégier le commerce, contrairement aux foires d’art.

Leur essor est majoritairement bénéfique, étant donné leur capacité à transcender les frontières de l’élite artistique et à s’engager auprès d’une audience plus large, en déclenchant d’importantes discussions sur des actions collectives durables. Mais ce succès soulève également la question de leur impact sur l’environnement, puisque les œuvres, les artistes et les transports des visiteurs augmentent proportionnellement. La multiplication constante des biennales interroge l’équilibre précaire du monde de l’art et son incidence sur le changement climatique. 

Les biennales en cours ne dérogent pas à cette tendance, elles changent le monde de l’art, relient justice sociale et environnementale, apportent de nouvelles pratiques, créent de nouvelles utopies et font des efforts concrets pour faire face aux défis écologiques. 

L’examen des biennales d’art ne saurait démarrer ailleurs qu’à Venise qui, du champ de l’art à l’architecture, s’impose comme laboratoire conceptuel du monde de demain. 

La Biennale de Venise a récemment obtenu le label de neutralité carbone pour avoir adopté des sources d’énergie renouvelables et recyclé les matériaux de ses installations. L’actuelle Biennale d’architecture de Venise 2023 – qui ouvrait le 20 mai (jusqu’au 26 novembre), met l’accent sur le développement durable tout en réinventant les modèles d’exposition. La Biennale s’intitule « The Laboratory of the Future » et plébiscite le continent africain comme un exemple de changement au niveau mondial, sous le commissariat de Lesley Lokko, architecte ghanéo-écossaise et fondatrice de l’African Futures Institute (AFI) basé à Accra, au Ghana. De nombreux pavillons nationaux rendent compte de l’urgence climatique. Parmi eux, l’exposition « Coastal Imaginaries » du pavillon danois se concentre sur l’élévation du niveau des mers. Le pavillon coréen, « 2086 : Together How ? » interroge l’impact potentiel de la crise climatique dans 50 ans. Parmi les autres pavillons intéressants : le pavillon allemand qui propose « Open for Maintenance » ou celui des Émirats arabes unis avec « Aridly Abundant ». 

Alicja Biala, Merseyside Totemy, 2022. Crédit photo : Rob Battersby. Biennale de Liverpool

En parallèle, deux autres biennales ont ouvert leurs portes aux mêmes dates. À Porto, la Biennale da Maia, intitulée « Walking is how I arrived here », vise à explorer le domaine des « utopies réalisables ». Elle implique plus de soixante artistes internationaux, autour des thèmes du réchauffement climatique et des différentes solutions d’avenir. La 5eme édition de la Biennale « Art Encounters » de Timișoara en Roumanie, intitulée « My Rhino Is Not a Myth », rassemble des artistes de 21 pays. Elle est consacrée à la relation entre l’art, la science et la fiction, explorant leur potentiel pour appréhender les interconnections de ces pratiques.

Peu de jours avant, la 4e biennale d’art industriel a ouvert ses portes à Pola, en Croatie. Intitulée « Landscapes of Desire » , cette biennale met l’accent sur la conceptualisation d’une époque post-industrielle, pierre angulaire d’une période de bouleversements anthropocéniques. Les commissaires Christoph Doswald et Paolo Bianchi ont invité 29 artistes et commandé un grand nombre de projets spécifiques qui abordent les questions de l’économie, de la diversité culturelle et du changement climatique. Elle fait appel au potentiel de mise en réseau de l’art pour défier les modèles de pensée en faveur d’un monde durable. 

Les éditions actuelles de la Biennale de Sharjah (Émirats arabes unis) et de la Biennale de Gwangju (Corée du Sud) sont également en cours. La Biennale de Sharjah se déroule jusqu’au 11 juillet et s’intitule « Thinking Historically in the Present ». Explorant les récits postcoloniaux et visant à remettre en question un modèle artistique centré sur l’Occident, la biennale présente 70 nouvelles œuvres réparties sur 19 sites, en mettant l’accent sur le discours transrégional et l’intégration de la culture locale. Elle présente une réflexion sur l’art dans un contexte mondialisé, dédiant un nombre d’œuvres aux questions de migration et de catastrophes naturelles. L’édition actuelle de la biennale de Gwangju est , elle, consacrée à la thématique de l’eau. L’exposition « Soft and tender like water » est fondée sur les philosophies de Tao Te Ching de Laozi, et est divisée en quatre thèmes : « Luminous Halo », « Ancestral voices », « Transient Sovereignty » et « Planetary Times ». Organisée par Sook-Kyung Lee, conservatrice en chef de la Tate Modern, avec plus de 80 artistes internationaux, cette 14e édition se déroule jusqu’au 9 juillet. 

Doris Salcedo, Uprooted, Courtoisie de l’artiste/ © Juan Castro. Biennale de Sharja

La 2ème édition de la toute nouvelle Biennale d’Helsinki, en Finlande, qui ouvrira le 12 juin, se positionne également fortement sur la question de l’engagement environnemental. Dès l’automne dernier, elle a commencé à organiser « Environment, Data, Contamination », une recherche artistique collaborative à partir de données environnementales (avec l’Université des arts d’Helsinki et le groupe de recherche sur les données environnementales dirigé par l’éminent professeur Jussi Parikka). La biennale de cette année est curatée par Joasia Krysa en collaboration avec un consortium de collectifs comprenant l’Académie TBA-21, Critical Environmental Data… Parmi les artistes invités figurent de nombreuses figures du dialogue entre l’art et l’environnement, notamment Dineo Seshee Bopape, Diana Policarpo et Adrián Villar Rojas .

Au Royaume-Uni, la 12e Biennale de Liverpool 2023 qui ouvre le 10 juin, organisée par l’artiste et commissaire sud africaine Khanyisile Mbongwa, emprunte son titre à un mot de la langue africaine isiZulu : « uMoya », qui fait référence à l’esprit, au souffle, à l’air, au temps et au vent. Plus de 30 artistes ont été invités à se servir d’ « uMoya » comme d’une boussole, donnant lieu à une exposition finale intitulée « uMoya: The sacred Return of Lost Things », un hommage aux formes ancestrales et autochtones de connaissance, de sagesse et de guérison.

Parmi les biennales qui viennent de fermer leurs portes, citons la 8ème biennale d’art contemporain de Thessalonique, en Grèce, qui a puisé son inspiration dans l’activisme écologique. Son exposition intitulée « Being as Communion » est une réflexion sur la coexistence, avec les humains, les autres qu’humains mais aussi le passé. Les 28 artistes internationaux participants ont été sélectionnés par une figure forte de l’engagement environnemental, Maria-Thalia Carras, cofondatrice de l’espace Tavros près d’Athènes, pour réactiver et explorer de nouvelles façons de collaborer avec la terre.


All My Colours, David Zink Yi © Courtoisie de l’artiste et Hauser & Wirth. Biennale de Gwangju

L’année prochaine s’annonce encore plus prolifique. 2024 sera l’année du retour de nombreuses biennales intégrants les enjeux environnementaux dans sa programmation, telles que Dhaka, Toronto, Sydney, Yokohama, Glasgow, Gwangju… Parmi elles, la 24ème biennale de Sydney, en sera un temps fort. Sa 23e édition en 2022 intitulée « rīvus », se présentait comme un système vivant dynamique, collaborant avec les communautés autochtones et soulignant leur profond respect pour les entités non humaines dont le droit à la vie doit être protégé. Le commissariat de la prochaine édition sera confié à de Cosmin Costinaș et Inti Guerrero, qui avaient déjà organisé d’autres projets axés sur la relation entre l’homme et la nature, notamment l’exposition 2016-17 « Soil and Stones, Souls and Songs », qui a voyagé entre Manille, Hong Kong et Bangkok, et la Biennale de Dakar 2018 au Sénégal.
Enfin, Nicolas Bourriaud vient d’être nommé directeur artistique de la prochaine édition de la biennale de Gwangju et a annoncé qu’elle se concentrera sur l’impact de la pandémie de la Covid-19 et sur le rôle de l’art dans le processus de guérison.
La question de la résilience qui traverse l’ensemble de ces biennales actuelles et à venir cristallise le pouvoir réparateur de l’art.

Lucia Longhi

Traduit de l’anglais par Oscar Bardet 

Mai 2023

Image de couverture : Vue de l’installation du pavillon croate à la Biennale d’architecture de Venise © Bosnic+Dorotic

Impact Art News, Avril-Mai 2023 #43

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