La ville de New York s’impose comme un lieu phare en matière d’art et d’environnement. Elle vient de concentrer de nombreuses annonces d’envergure lors de la Journée de la Terre (Earth Day), le 22 avril. Elles enrichissent une dynamique déjà bien présente : multiplication de départements de développement durable et d’expositions d’artistes engagés dans les musées, mobilisation des galeries vers la réduction de leur impact environnemental, nombre croissant d’artistes investissant ces enjeux, etc. 

La Gallery Climate Coalition (GCC) a inauguré le 21 avril au Musée Solomon R. Guggenheim l’ouverture de son antenne new yorkaise. Dans son comité fondateur* figurent, entre autres, Laura Lupton, déjà co-fondatrice de Galleries Commit (première initiative volontaire de salarié.es de galeries new-yorkaises concerné.es par l’impact environnemental de leur activité), Whitney McGuire, responsable du développement durable du Musée Guggenheim, ainsi que des fondateur.ices de galeries comme Chiara Repetto (Kaufmann Repetto) ou Matthew Wood (Mendes Wood). Si les galeries décident ainsi d’accélérer leur action du côté de l’impact carbone de leurs expositions, l’enjeu de l’impact des matériaux utilisés par les artistes est abordé de manière inégale dans le quartier de Chelsea : les monumentales Cylindrical Lenses en résine de polyuréthane de Fred Eversley chez David Kordansky côtoient les grandes sculptures 100 % récup’ d’Abraham Cruzvillegas à la galerie Kurimanzutto.

A l’occasion du Earth Day, le « New York Climate Exchange » a également été annoncé par le maire de New York Eric Adams : un projet de 700 millions de dollars visant à accélérer la transformation de l’île new yorkaise Governors Island comme « Laboratoire vivant », 100 % dédié à l’adaptation et la lutte contre le réchauffement climatique. Un projet soutenu par la fondation Simons et Bloomberg Philanthropies. La programmation artistique déjà très dynamique de l’île prend elle aussi le tournant du climat sous le pilotage de Meredith Johnson qui explorera les enjeux à échelle locale et la question insulaire.

De son côté, le MoMA a décidé de décliner le Earth Day sur un mois entier. Le « Earth Month » comprend, sous le pilotage de Carson Chan, une riche programmation d’échanges et des cartels additionnels au cœur du musée, offrant un regard environnemental inédit sur certaines oeuvres. Se déclarant « Circular Museum », le MoMA comprend également déjà un département consacré au développement durable. Un projet de ferme de 160 hectares en Pennsylvanie vise à alimenter la cantine des salariés mais aussi à accueillir des artistes en résidence.

Un berceau de l’art écologique qui se renouvelle

Les artistes qui travaillent sur les enjeux environnementaux locaux ou globaux forment une scène riche à New York, mêlant des artistes-activistes expérimentés et une nouvelle génération d’artistes. Cette scène s’est développée dès les années 1960, comme le démontre l’historienne d’art Bénédicte Ramade**. New York est un berceau de l’ « art écologique », avec des artistes femmes phares telles que Mierle Laderman Ukeles ou Agnes Denes. Pour Heather Davis, maître de conférences à l’université The New School, Joan Jonas ou Robert Smithson ont également contribué à ce terreau fertile. Cet engagement s’est poursuivi dans les années 70 et 80 avec par exemple Betty Beaumont ou Cecilia Vicuña, puis à la fin des années 90 avec le duo d’amis féru de sciences naturelles, Mark Dion et Alexis Rockman. Aujourd’hui les artistes activistes new yorkais (essentiellement des femmes artistes) comme Terike Haapoja, Mary Mattingly, Duke Riley ou Dylan Gauthier, perpétuent cette tradition d’un art écologique avec une forte dimension sociale et participative, oeuvrant pour une ville plus écologique et égalitaire. L’artiste Michael Wang qui compte parmi les plus pertinents sur le sujet, a choisi de vivre dans la grande banlieue new-yorkaise afin d’avoir l’espace d’y raviver les plantes, qui ne poussent plus à l’état sauvage dans la ville et qu’il réintroduit dans la ville via son projet « Extinct in New York City ».

Josh Kline, « Project for a New American Country », Whitney Museum, 2023 © Art of Change 21

Les artistes agissent en groupes ou associations, telle « Art to Acres » fondée en 2017 par Haley Mellin, qui relie l’art et la préservation des forêts. En parallèle, le collectif Artists Commit, cofondé par l’artiste Davide Balula, apporte aux artistes les ressources et outils nécessaires à une pratique moins carbonée. Artiste, mais également ingénieur et designer, Alex Nathanson apporte aux artistes des solutions concrètes pour alimenter leurs œuvres via l’énergie solaire. Auteur du livre, « A history of Solar Power Art & Design » et initiateur du « Solar Protocol », un réseau expérimental de serveurs alimentés par l’énergie solaire dans différentes parties du monde, il compte parmi les meilleurs « accélérateurs de changement » de la ville. 

L’art en avance sur la science ? 

Si l’action du MoMA est impressionnante, avec à la fois une direction du développement durable et une programmation dédiée via l’ Institut Emilio Ambasz spécifiquement créé par le musée et dirigé par Carson Chan, d’autres initiatives majeures prennent les devants et s’imposent par leur audace et leur engagement. 

Haut lieu d’ouverture et de responsabilité, le Brooklyn Museum, dirigé par Anne Pasternak, est aujourd’hui la pierre angulaire d’un changement de récit mais aussi d’une nouvelle relation entre les habitants et les musées. L’exposition « Death to the living, Long Live Trash » de Duke Riley (voir Impact Art News 39) sur la pollution plastique occupe un étage entier et apporte une sensibilisation majeure aux conséquences environnementales désastreuses du  « way of life » américain.La richesse des collections internationales, l’intégration des réserves dans le parcours de visite, les nombreux cartels apportant des éclairages sur les dimensions sociales et environnementales des oeuvres ainsi que le prix libre à l’entrée (fondé sur le don), donnent à ce musée une longueur d’avance et lui garantissent une diversité de visiteurs à l’égal de la diversité des mondes que le musée entend représenter. Visionnaire en matière de climat, le Brooklyn Museum n’avait pas eu peur d’exposer une vision apocalyptique de Brooklyn submergé par la montée des eaux, Manifest Destiny d’Alexis Rockman, une toile de 8 mètres de long.

Plus petit, le Swiss Institute fait également office de modèle. Ce lieu a choisi de ne pas dissocier le contenu du processus, confiant à la fois la programmation et les actions de RSE à la directrice Stefanie Hessler, qui possède cette double compétence. Un plan stratégique intitulé « Our Evolving Ecologies » intègre à la fois les actions sur le bâtiment, la production des expositions et la programmation. Depuis le 10 mai et jusqu’en 2025 le projet « Spora » propose un véritable manifeste du nouveau plan stratégique du Swiss Institute. Ce projet d’exposition expérimentale sur 2 ans propose d’investir les espaces du centre habituellement interdits d’accès aux visiteurs (toit, interstices, etc.. ) Les artistes Mary Mattingly, Jenna Sutela, Vivian Suter, Helen Mirra, ou encore T’uy’t’tanat-Cease Wyss y mélangent les matériaux urbains et naturels dans une proposition artistique alertant de l’urgence climatique actuelle et interrogeant la place des institutions dans nos sociétés. 

Duke Riley, « DEATH TO THE LIVING, Long Live Trash », Brooklyn Museum, 2023 © Duke Riley. (Photo: Robert Bredvad.)

Du point de vue de la programmation, le Whitney Museum marque fortement l’actualité avec une double exposition, inaugurée le 19 avril dernier. La première rétrospective à NYC de l’artiste amérindienne Jaune Quick-to-See Smith « Memory Map » qui dénonce l’oppression sociale et la destruction environnementale que subit son peuple côtoie une exposition personnelle tout aussi ambitieuse « Project for a New American Century » de Josh Kline, qui comporte un grand chapitre dédié au réchauffement climatique.

Les musées d’histoire naturelle, qui sont souvent des lieux pionniers en matière de relation art – science et de mobilisation sur les enjeux climat, ne semblent pas au rendez-vous dans la Grosse Pomme. L’ouverture le 4 mai dernier de la monumentale nouvelle aile du célèbre musée d’histoire naturelle new yorkais, signée par l’architecte Jeanne Gang, promettait un nouveau récit sur l’interdépendance des espèces et la responsabilité humaine dans l’exposition « Invisible Worlds ». Hélas, une fois payés les 30 dollars d’entrée, un spectacle esthétique illustrant un récit idéalisé et simpliste ressemble davantage à une belle publicité « greenwashing ». Côté sciences naturelles, il faut plutôt regarder du côté de l’aquarium de New-York et la figure de Noah Chesnin, directeur associé du New York Seascape Program de la Wildlife Conservation Society’s New York Aquarium, pour être inspiré. En matière de vulgarisation scientifique sur le climat, le Climate Museum fondé par Miranda Massie, qui a pris ses quartiers à Soho jusqu’au 30 avril dernier, proposant des manières créatives d’agir en tant que citoyen. 

Des influences canadiennes et françaises

New York profite de nombreuses influences, notamment de sa voisine Montréal qui est pionnière dans cette dynamique. L’initiative « The synthetic collective » relie Montréal, Ontario et New York et démontre la force de la collaboration entre femmes artistes et chercheur.euses pour aborder la pollution plastique de la région des Grands Lacs, avec les artistes Kelly Jazvac ou Tegan Moore de Montréal, Heather David de la New School à New York, etc. La meilleure spécialiste de l’art écologique aux Etats-Unis vit d’ailleurs à Montréal, Bénédicte Ramade, enseignante à l’UQAM (citée plus haut). De l’évolution de la programmation de Biosphère (ayant rejoint le groupe de musées Espace pour la Vie) au Musée McCord Stewart qui présente depuis 2021 une exposition sur les peuples premiers conçue par eux, ou encore le Musée des Beaux Arts de Montréal qui a accueilli le 26 avril dernier un évènement sur la culture et l’écologie, les bonnes pratiques se diffusent. 

La France compte bien compter aussi comme source d’influence, via la Villa Albertine inaugurée à New York en 2021. Elle présentera bientôt les projets à forte résonance environnementale de ses futurs résidents new yorkais. De son côté, le FIAF NY (French Institute Alliance Française) dirigé par Tatyana Franck entend bien aussi faire résonner une scène francophone engagée dans l’environnement. Il exposera l’artiste emblématique Julian Charrière en septembre prochain.

Michael Wang – Artiste, Stefanie Hessler – Directrice du Swiss Institute, Whitney McGuire – Directrice Développement Durable Guggenheim Museum, Heather Davis – Maitre de conférence, Carson Chan – Directeur Institut Emilio Ambasz, Laura Lupton – Co-fondatrice de Gallery Climate Coalition et Galleries Committee © Art of Change 21 (sauf Gallery Climate Coalition – Portrait de Whitney McGuire)

Ce panorama non exhaustif dévoile une dynamique à la fois récente et sans précédent. Stefanie Hessler, directrice du Swiss Institute témoigne : « Lorsque je suis arrivée à New York il y a un an, on était déjà loin de là où nous en sommes aujourd’hui ». Cette impulsion n’est pas prête de s’arrêter, notamment grâce au soutien de puissantes fondations comme Frankenthaler et Teiger. New York a aujourd’hui les moyens, à la fois créatifs et financiers, pour devenir une capitale artistique responsable majeure.

*comité fondateur GCC NYC : Ales Ortuzar, Chiara Repetto, Haley Mellin, Laura Lupton, Loring Randolph, Matthew Wood, Stefanie Hessler et Whitney McGuire
** Vers un art anthropocène – L’art écologique américain pour prototype (2022)

Alice Audouin

Mai 2023

Visuel de couverture : Jaune « Quick-to-See » Smith, « Memory Map », Whitney Museum, 2023 © Art of Change 21

Impact Art News, Avril-Mai 2023 #43

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