Quelle est la place des enjeux environnementaux dans votre travail ?
Les défis actuels – tels que la fonte des glaciers, l’extinction des espèces végétales, la mutation des animaux ou les pandémies, et la manière dont l’humanité est appelée à coexister avec ces réalités – deviennent pour moi un territoire d’apprentissage sans limite et l’exploration artistique devient une manière d’assimiler ou de comprendre ces enjeux actuels. Habituellement, les sujets s’articulent à travers le prisme d’expériences corporelles personnelles et la recherche esthétique de leur possible réception, ce qui génère la création de sculptures hybrides, d’installations vivantes ou d’essais vidéo. Pour moi, en tant qu’artiste, les interactions visuelles, tactiles et sonores dévoilent de nouvelles connexions et de nouvelles façons de participer et de réfléchir à l’environnement dans lequel nous vivons aujourd’hui.
Vous avez présenté « My Second Body, Exercices of Entangled Empathy » dans le cadre de la grande exposition « Living Matter » à la galerie Tetyakov. Pouvez-vous décrire cette œuvre ?
My Second Body, Exercise of Entangled Empathy (2021) est une nouvelle oeuvre inspirée du livre de Daisy Hildyard, The Second Body, dans lequel elle affirme que de nos jours, tout être vivant à deux corps. Dans l’esprit de Hildyard, l’individu est doublé par le changement climatique : « D’un point de vue technique, vous êtes dans le ciel et provoquez des tempêtes, et vous êtes dans la mer, vous avez deux corps distincts. Votre second corps n’est pas aussi solide que l’autre, mais il est beaucoup plus grand. Ce n’est pas un concept, c’est votre propre corps » (S). La nouvelle série de sculptures tourne autour de la notion de notre premier et second corps, de leurs limites et de leurs liens avec l’habitat. En travaillant sur cette série, j’ai tenté d’explorer les interconnexions entre notre « moi » physique et planétaire en remettant en question notre intégrité corporelle. D’une part, nos corps possèdent une plasticité impressionnante, ce qui est évident dans notre relation avec les technologies ; d’autre part, ils sont imparfaits et vulnérables, susceptibles de tomber malades et de stagner comme tout autre matière organique.
J’ai passé la période de confinement à Londres et j’ai remarqué la manière dont les gens utilisaient leur environnement – les parcs et ce qui s’y trouve – les arbres, les pierres et la surface de la terre – comme un lieu et comme des accessoires permettant de faire travailler corps et esprits. Dans ma quête pour découvrir le lien entre ces corps en exercice et le Second Corps, j’ai commencé à étudier la façon dont nos corps sont affectés par différents éléments abstraits, y compris l’environnement urbain, l’économie, la biologie et la technologie.
Les sculptures s’inspirent des équipements de gym, symbolisant d’un côté l’arrivée de notre « moi » cyborgien et notre condition post humaine et d’un autre côté elles parlent de notre interconnexion avec la nature – la relation mimétique complexe entre les humains, les animaux, les plantes et les machines. Mes nouvelles sculptures comprennent des éléments en verre fragiles, des formations rocheuses naturelles, des plantes et des coraux, qui captent l’aperçu du temps géologique qui est imprimé sur eux – des habitats et des corps affectés par le changement climatique qui respirent encore, appelant donc à une réponse éthique.
Quels sont les enjeux environnementaux les plus importants pour vous ?
Notre environnement est confronté à plusieurs problèmes et beaucoup d’entre eux semblent s’aggraver avec le temps, mais nous avions tendance à ne pas les remarquer parce qu’ils semblaient trop « éloignés » de nous. Aujourd’hui, nous pouvons voir les problèmes de nos propres yeux et nous ne pouvons plus les nier : les glaciers que nous avons visités il y a dix ans en Islande n’existent plus, le récif corallien coloré des Maldives a été blanchi et détruit par les eaux chaudes, l’air que nous respirons véhicule des maladies zoonotiques…
Comment incluez-vous les neurosciences, les biotechnologies et l’écologie dans votre travail ?
Dans mon travail, j’explore l’intersection du bio-art et de la nouvelle éthique féministe et matérialiste. Mes sculptures et environnements vivants reflètent les découvertes récentes en neuroscience, en biotechnologie et en écologie à travers le prisme d’expériences corporelles personnelles. Je crée des environnements fragiles en mélangeant des substances qui proviennent de natures différentes – comme l’acier et le néon avec les coraux et le lait maternel, ou les plantes vivantes avec les appareils électroniques, en utilisant des logiciels pour explorer nos relations avec la nature.
Engagée avec la diversité d’agents interconnectés les uns avec les autres et avec leur environnement, j’essaie de donner à voir une variété d’empreintes transcorporelles dans les corps des autres – humains et autres animaux, plantes, eau, lumière, sols, pierres et fossiles.
Concevez-vous votre travail de manière écologique ?
Je suis consciente des matériaux et des procédés que j’utilise dans ma pratique artistique. Je travaille avec des matériaux essentiellement naturels et je recycle assez souvent mon travail, dans le sens où une installation se transforme en une autre…
Conversation avec Alice Audouin
Octobre 2021
Crédits : courtesy of the artist
Lien vers le site de l’artiste Margo Trushina
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