Quand l’environnement est-il entré comme thématique dans votre travail ?
Vivant à Beyrouth, j’ai commencé à sentir la pollution dès les années 2000, en allant aux Beaux-Arts tous les jours. Je sentais que l’air était très pollué et qu’il entrait dans mes poumons. Nous avons eu aussi une grande crise des déchets il y a quelques années, sans compter la course effrénée à la destruction des montagnes libanaises pour y construire des immeubles ! Ce sont mes sensations, ainsi que ces aberrations et  dysfonctionnements autour de moi qui ont fondé ma sensibilité. Depuis cette date, je me documente, j’essaie d’agir. Lorsque j’ai commencé à peindre en autodidacte, le sujet est venu tout seul, je n’ai pas réfléchi une seconde à « que vais-je peindre ? ». Depuis, toutes mes peintures ne parlent que d’environnement, avec des traitements et des matériaux qui ne cessent d’évoluer.

Pourquoi le choix de la peinture ?
J’ai été marquée par mes cours d’histoire de l’art dès la troisième année à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts, principalement par la période contemporaine, l’art abstrait, puis minimaliste, ensuite Dada et l’art conceptuel. Les artistes comme Joseph Beuys, Robert Rauschenberg, Tapiès, De Kooning, Anselm Kiefer, m’ont fait découvrir les possibilités de la peinture, médium qui, toujours le même, dans un rectangle ou carré, sur toile ou sur bois, et à travers les siècles, n’a cessé d’évoluer, de se transformer et d’éblouir. La peinture est pour moi éternelle mais jamais « finie ». C’est au spectateur de décider, d’interpréter, de se l’approprier.
Concernant les matériaux, en voulant partir du concept écologique, il est évident pour moi d’utiliser des matériaux naturels, à côté de la peinture à l’huile. J’introduis du sable, des cailloux, des écorces, de la paille, des branches, des feuilles, du carton, du bois, de la chaux… 

Quels sont les enjeux environnementaux qui vous mobilisent le plus ?
D’abord l’air. Nous rendons-nous compte de ce qu’est devenu l’air sur Terre ? Avec les déforestations massives, les incendies de forêts, la pollution que nous engendrons, l’air est devenu nocif. Nous sommes dans le déni. Avec mes peintures Ciel Blessé, Feuilles Mortes, Trees Where Have You Gone ?, j’essaie de pointer du doigt, de sensibiliser à ce sujet, tout en montrant la beauté de la Terre. Je n’agis jamais de manière explicite, je vise à relier la sensibilité à la conscience par des moyens indirects, purement plastiques. Parfois les titres de mes oeuvres trahissent cette intention. Nous exploitons les ressources de la Terre sans limites : mines, carrières, déforestation, constructions… Dans la série Earth, je montre les blessures, les mines, mais aussi les couleurs, les textures, la richesse géologique de notre Terre. Dans ma démarche, la colère n’est jamais loin de l’attachement, la volonté de mobiliser toujours en lien avec la beauté.   

Comment se passe la situation à Beyrouth où vous habitez, avec la COVID-19 et les suites de l’explosion, avez-vous confiance dans la résilience de votre pays ?
La COVID-19 semble être un problème mineur. Face à la situation économique actuelle, et à l’impact de l’explosion du 4 août 2020, le peuple libanais ne s’en soucie plus, mais plutôt cherche sa nourriture au quotidien. Nous avions un espoir avec la révolution d’Octobre 2019, qui, malheureusement n’a pas réussi à évincer les hommes au pouvoir. Aujourd’hui les gens n’ont plus la force de manifester. Tous les jours, c’est une lutte pour un plein d’essence, pour quelques heures d’électricité par jour et pour ne pas se coucher le ventre vide. Mais le Liban a toujours vécu de la sorte. Il se relève après des années de crise pour y sombrer à nouveau. Néanmoins, il reste un pays méditerranéen, où le soleil arrive à garder les étincelles de vie, d’énergie, de fête, chez ce peuple toujours chaleureux et qui cherche toujours à atteindre les étoiles.

 

Alice Audouin

Site de Tamara Haddad

Juillet 2021

Crédit : photo de l’artiste

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