La fin d’année 2023 est marquée par une imbrication croissante des thématiques sociales et environnementales. En Amérique latine, la toute première biennale des Amazonies, la Biennale de São Paulo et le MASP mettent en lumière des artistes autochtones intrinsèquement liés à l’environnement et la biodiversité. Ces expériences autochtones enrichissent aussi un mouvement plus large autour de l’éco-féminisme qui bénéficie d’une audience importante, notamment à la Barbican Art Gallery à Londres. En Asie, la programmation artistique adopte une perspective moins anthropocentrique sur les enjeux environnementaux, avec une exposition d’envergure au Mori Art Museum de Tokyo. Enfin, cette saison offre également des expositions d’artistes engagés et incontournables dans les galeries.

Biennales d’Amérique latine 

Projet sans précédent à Belém, au Brésil, Bubuia: Waters as a Source of Imaginations and Desires, la toute première Biennale des Amazonies, révèle un portrait méconnu du complexe amazonien. Cette édition a été inaugurée avec 120 artistes et collectifs issues des communautés autochtones des neuf pays et huit États brésiliens qui le composent. Curatée par Sandra Benites, Flavya Mutran, Keyna Eleison et Vânia Leal, la Biennale affirme l’existence d’une culture pan-amazonienne, dans un contexte de violence environnementale et sociale que l’extractivisme engendre dans cette région. L’artiste équatorienne Sofía Acosta Varean dans son installation vidéo Chapitre 01 : Petróleo dépeint 50 ans d’exploration pétrolière en Amazonie, tandis que les photographies d’Armando Queiroz alertent sur les dangers de l’extraction minière. Nohemí Pérez, par son usage du fusain, ravive la mémoire de l’exploitation du charbon de bois et des ressources naturelles dans les territoires en conflit à la frontière entre la Colombie et le Venezuela. 

Deuxième biennale la plus ancienne au monde après celle de Venise, la Biennale de São Paulo, n’en est pas moins novatrice pour sa 35e édition Coreografias do Impossível (Chorégraphies de l’impossible). En adoptant également un commissariat collectif, elle entend favoriser l’égalité des contributions de la part de tous les membres. Réunissant 121 artistes, cette édition est particulièrement représentative des artistes de l’hémisphère Sud, et prend la danse comme point de départ pour aborder la décolonisation, les préoccupations environnementales et la résistance aux pouvoirs politiques oppressifs. Dans son installation évolutive Outres (2023), composée de spores de champignons, Daniel Lie observe les effets du temps sur un écosystème mourant. D’autres œuvres présentées à la Biennale examinent les évolutions des mondes spirituels et naturels du point de vue des peuples autochtones à l’instar des broderies d’Edgar Calel représentant une maison Guarani entourée de plantes de Yucca, ou du documentaire poétique Thuë pihi kuuwi (Uma Mulher Pensando) d’Aida Harika Yanomami sur la tribu Yanomami. 

Toujours à São Paulo, au MASP (Musée d’art de São Paulo) a démarré depuis le 20 octobre une exposition majeure intitulée Indigenous Histories, qui réunit 285 œuvres d’environ 170 artistes issues des peuples premiers des terres aujourd’hui appelées Brésil, Pérou, Canada, Mexique, Australie, Nouvelle-Zélande et Norvège. L’objectif est de convier un échantillon d’histoires dans une sélection concise mais pertinente, de sorte qu’elles puissent se rapprocher d’autres récits provenant de différentes parties du monde.

 

Daniel Lie, Outres, 2023 à la 35ème Biennale de São Paulo. © Daniel Lie, Levi Fanan / Fundação Bienal de São Paulo

Nouvelles expositions Éco-Féministes

Mouvement né dans les années 1970, l’éco-féminisme établit un lien direct entre l’exploitation de la planète et l’oppression des femmes. À Londres, à la Barbican Art Gallery, la nouvelle exposition collective RE/SISTERS : A Lens on Gender and Ecology, documente l’évolution des mouvements éco-féministes, en rassemblant 250 œuvres de 50 femmes et artistes non binaires des années 1960 à nos jours. L’exposition donne à voir des archives significatives telles que les collages de la photographe Dionne Lee qui explorent comment le racisme aux États-Unis est lié aux notions de propriété foncière, les photographies de Pamela Singh représentant les membres du mouvement écoféministe himalayen Chipko protestant contre la déforestation, Multiple Clitoris de Carolina Caycedo sur l’impact des barrages en Amérique du Sud, ainsi que la documentation de la performance basée sur les feux d’artifice d’Immolations IV de Judy Chicago (1972), qui évoque l’auto-immolation des moines bouddhistes protestant contre la guerre du Vietnam. 
Le New Museum de New York consacre à cette dernière la rétrospective Herstory, mettant en dialogue ses six décennies de combat avec le travail d’artistes telles que Artemisia Gentileschi, Zora Neale Hurston, Frida Kahlo, Hilma af Klint ou Virginia Woolf, dans une installation intitulée The City of Ladies

En Allemagne, le Georg Kolbe Museum consacre une exposition significative à Lin May Saeed, dont la vie s’est tristement éteinte il y a deux mois. Établissant des parallèles entre l’oppression subie par les femmes et l’exploitation des animaux, l’artiste germano-irakienne a dédié son existence à la défense de la cause animale. The Snow Falls Slowly in Paradise reflète cet engagement profond, et propose un voyage poétique dans le temps, axé sur la relation entre les humains et les autres espèces animales, en puisant dans les fables et les mythes. Cette réflexion sur un avenir commun, à l’appui du passé présente une variété d’œuvres de l’artiste en polystyrène et d’installations murales, en dialogue avec les les bronzes animaliers de la sculptrice allemande Renée Sintenis.

Pamela Singh, Chipko Tree Huggers of the Himalayas #4, 1994. © Pamela Singh Courtesy sepiaEYE Credit: © Pamela Singh Courtesy sepiaEYE

Pamela Singh, Chipko Tree Huggers of the Himalayas #4, 1994. © Pamela Singh Courtesy sepiaEYE Credit: © Pamela Singh Courtesy sepiaEYE

Regards sur le vivant en Asie

Pour son 20ème anniversaire, le musée Mori Art de Tokyo rassemble 34 artistes dans l’exposition Our Ecology: Toward a Planetary Living. L’exposition propose un regard moins anthropocentrique et parcourt les enjeux environnementaux vus par les artistes japonais et internationaux, dont Tetsumi Kudo, Cecilia Vicuña, Julian Charrière, Emilija Škarnulytė et Apichatpong Weerasethakul. L’exposition examine également l’art produit et présenté au Japon des années 1950 aux années 1970, lorsque la pollution constituait un sombre inconvénient de la rapide croissance économique du pays, afin de reconsidérer les problèmes environnementaux actuels d’un point de vue japonais. Le Mori Art Museum devient lui-même un lieu écologique à part entière, avec des mesures prises en matière d’éco-conception.

Orchestré par l’équipe de la Biennale de Busan et situé autour de la plage d’Ilgwang en Corée du Sud, le Sea Art Festival, présente un ensemble d’œuvres d’une trentaine d’artistes coréens et internationaux, tels que Kim Doki ou le collectif danois SUPERFLEX. Cette édition intitulée Flickering Shores, Sea Imaginaries, sous le commissariat d’Irina Papadimitriou, cherche à réévaluer notre relation à la mer, en évoquant à la fois la splendeur et la vulnérabilité de nos littoraux. Le festival est aussi un espace de recherche explorant des pistes alternatives pour interagir avec les environnements marins. 

Au pied de la muraille de Chine, dans la de la vallée d’Aranya, à Jin Shan Lin, le projet in situ de l’Aranya Art Center réunit 21 artistes contemporains venant de Chine et du monde entier. Cette promenade sensorielle présente des œuvres de Vivian Suter, Katinka Bock, Michelle Wang Yiyi parmi d’autres qui remettent en question les frontières conventionnelles séparant l’environnement de la technologie et la tradition de la modernité.

SUPERFLEX, All is Water, 2023 © SUPERFLEX

Expositions d’artistes engagés en galeries

L’exposition Weather conditions du duo d’artistes suédois Bigert & Bergström présente à la galerie Leu de Munich des œuvres de 2013 à 2023 explorant la relation complexe entre la météo, le climat et les humains, du point de vue artistique. La sélection comprend des sculptures, installations, photographies, ainsi que le film The Freeze, qui retrace un projet de géo-ingénierie réalisé au sommet du massif suédois du Kebnekaise.

À la Galerie Sean Kelly de Los Angeles, l’exposition Buried Sunshine de Julian Charrière. Dans cette nouvelle série, l’artiste dévoile Los Angeles comme une anomalie spatiale : un lieu construit non seulement grâce aux hydrocarbures, mais aussi sur eux, avec 5 000 puits de pétrole actifs dissimulés dans la ville.

A Londres, Yinka Shonibare invite une communauté d’artistes principalement originaires du Nigeria, du Zimbabwe et de la diaspora à exposer avec lui dans le nouvel emplacement de la Stephen Friedman Gallery à Cork Street. Free The Wind, The Spirit, and The Sun présente un ensemble de sculptures, masques et courtepointes puisant dans l’onirisme dadaïste et figurant des espèces d’oiseaux menacées d’Afrique. Shonibare combine des explorations sur l’effet physique du vent sur les textiles africains, avec une réflexion sur le rôle qu’il a joué lui-même dans l’histoire du mouvement de la diaspora africaine.

Dans la galerie romaine de Richard Saltoun, l’artiste activiste brésilienne Daiara Tukano se consacre à la déconstruction des héritages coloniaux qui ont lourdement pesé sur les femmes des communautés autochtones.

© Sean Kelly, Julian Charrière

La convergence croissante entre les problématiques sociales et environnementales s’affirme de plus en plus dans les oeuvres des artistes, comme en témoignent la programmation de cette fin d’année. Qu’il s’agisse d’expositions donnant de la visibilité aux scènes artistiques autochtones ou éco-féministes, l’objectif des artistes est unanime: mettre en avant le vivant, faire communauté entre humains et autres-qu’-humains face au changement climatique. Cette effervescence artistique pourrait être un prélude à la COP28 qui arrive à grand pas…

Aloïs Loizeau


À VOIR ÉGALEMENT

Emilio Ambasz, Charles and Ray Eames, Frank Lloyd Wright, Glen Small, Mária Telkes, Mae-ling Lokko, Jeanne Gang, Meredith Gaglio, Charlotte Malterre-Barthes, Amy Chester, Carolyn Dry, Emilio Ambasz
Emerging Ecologies: Architecture and the Rise of Environmentalism  | 17.09.23 — 20.01.24 
MoMA (New York, United States) 

Adrián Balseca, Seba Calfuqueo, Julian Charrière, Tamara Henderson, Joan Jonas, Ali Kazma, Elena Mazzi, Uriel Orlow, Shimabuku The Human Condition, Curated by Jacopo Crivelli Visconti | 03.11.23 — 05.11.23 Gallerie d’Italia, Artissima special project (Turin, Italie)

Trevor Yeung
Soft ground | 28.09.23 17.12.23 
Gasworks (Londres, Royaume-Uni)

Otobong Nkanga
Craving for Southern Light | 13.07.23 — 07.01.24
IVAM Centre Julio González (Valence, Espagne)

Fabrice Hyber, Lionel Sabatté, Barthélémy Toguo (…)
Chaque nuit j’entre dans les creux des troncs et j’écoute | 14.09.23 — 04.11.23
Galerie C (Neuchâtel, Suisse)

Josèfa Ntjam
Limestone Memories – un maquis sous les étoiles | 21.09.23 – 04.11.23
NıCOLETTı (London, UK)

 

LISTE DES EXPOSITIONS MENTIONNÉES DANS L’ARTICLE

Anna Bella Geiger, Claudia Andujar, Sofía Acosta Varean, Nohemí Pérez, Tabita Rezaire (…)
Bubuia: Waters as a Source of Imaginations and Desires | 04.08.23 — 05.11.23
Bienal das Amazônias (Belém, Brésil)

Aida Harika Yanomami, Daniel Lie, Edgar Calel, Guadalupe Maravilla (…)
Coreografias do Impossível (Chorégraphiques de l’impossible) 04.08.23 — 05.11.23
35ª Bienal de São Paulo (São Paulo, Brésil) 

Aislan Pankararu, Colectivo Cherani, Duhigó Tukano, Francisco Toledo, Joseca Yanomami, Mariana Castillo Deball, Minerva Cuevas, Santiago Yahuarcani, Tim Pitsiulak, William Noah (…)

Indigenous Histories | 20.10.23 25.02.24
Musée d’art de São Paulo (São Paulo, Brésil) 

Ágnes Dénes, Ana Mendieta, Barbara Kruger, Carolina Caycedo, Dionne Lee Josèfa Ntjam, Judy Chicago, Mary Mattingly, Otobong Nkanga, Pamela Singh (…)

RE/SISTERS (A Lens on Gender and Ecology) | 05.10.23 14.01.24
Barbican Art Gallery (Londres, Royaume-Uni)

Judy Chicago
Herstory | 12.10.23 14.01.24
New Museum (New York, États-Unis)

Lin May Saeed  The Snow Falls Slowly in Paradise | 14.09.23 — 25.02.24
Georg Kolbe Museum (Berlin, Allemagne)

Ágnes Dénes, Ali Cherri, Ana Mendieta, Apichatpong Weerasethakul, Cecilia Vicuña, Hans Haacke, Kudo Tetsumi, Monira Al Qadiri, Pierre Huyghe, Fujiko Nakaya (…)
Our Ecology: Toward a Planetary Living | 18.10.23 — 31.03.24
Mori Art Museum (Tokyo, Japon)

Julia Lohmann & Kayoung Kim, Robertina Šebjanič, SUPERFLEX (…) Sea Art Festival, Flickering Shores, Sea Imaginaries | 14.10.23 — 19.11.23 Ilgwang beach (Busan,  Corée du Sud)

Katinka Bock, Michelle Wang Yiyi, Richard Long, Vivian Suter  Aranya Plein Air Art Project | 07.07.23 29.10.23
Valley of Aranya Jin Shan Ling (Chengde, China)

Bigert & Bergström  Weather conditions | 19.10.23  — 26.11.23 Galerie Leu (Munich, Allemagne) 

Julian Charrière Buried Sunshine | 14.10.23 04.11.23
Sean Kelly LA (Los Angeles, États-Unis) 

Yinka Shonibare CBE RA, Bunmi Agusto, Okiki Akinfe, Victor Ehikhamenor, Masimba Hwati, Gareth Nyandoro, Nengi Omuku, Ozioma Onuzulike, Emma Prempeh, Uzor Ugoala
Free The Wind, The Spirit, and The Sun | 06.10.23 11.11.23
Stephen Friedman Gallery (Londres, Royaume-Uni)

Daiara Tukano
Kihtimori: Creation Memories | 08.11.23 — 22.12.23
Richard Saltoun (Rome, Italy)

Couverture : Emilija Škarnulytė, Arrow of Time, 2023, Installation vidéo, 16 min.
Our Ecology: Toward a Planetary Living, Mori Art Museum (Tokyo, Japon)

 

Autrice: Aloïs Loizeau

Octobre 2023 

 Impact Art News, Sep-Oct 2023 #45

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