Yao Lu (姚璐), né en 1967 à Pékin où il vit et travaille, est professeur de photographie à l’Académie Centrale des Beaux-Arts de Chine. Le processus de travail de Yao Lu est long et complexe : au cours de ses pérégrinations à travers la Chine, il photographie sous plusieurs angles des paysages de décharges ou des amas de débris qu’il a préalablement nappés d’un filet vert. Il réalise ensuite un photomontage composé de détails tirés de ses clichés, auxquels il ajoute des éléments et des effets caractéristiques de la peinture classique chinoise.
Votre travail sensibilise aux effets de l’urbanisation et ses conséquences sur l’environnement. Quelle est l’importance de ces enjeux pour vous ?
Je suis né à Pékin, et je porte un fort intérêt et un grand amour pour les habitants et l’histoire de cette ville. Pékin subit actuellement des changements sans précédent. Un grand nombre de constructions anciennes disparaissent en un instant sous la poussée des chariots élévateurs, et sont remplacées par de gigantesques bâtiments en béton et de larges routes. Pékin grandit et gonfle comme un ballon et de ce fait ces éléments qui évoquent l’histoire et le passé à ses habitants deviennent de moins en moins nombreux. Ce qui aura été perdu restera en mémoire pendant un certain temps, avant l’arrivée d’une nouvelle génération, à laquelle un vide sera laissé. Ce qui restera aux générations futures, ce sont de nouveaux édifices simples et répétitifs sans caractéristiques, l’humanité de la ville aura disparu sans laisser de traces. Bien sûr, Pékin n’est qu’un exemple classique, ce « mouvement » se répète dans toute la Chine. Tous ces désastres sont provoqués par le « développement » et la « modernisation ». Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ces questions, lorsque j’ai créé cet ensemble d’œuvres. Ces ruines s’apparentent également aux déchets qui s’accumulent tout autour de nous. Tout cela contribue à l’ambiance dans laquelle je crée mon travail, qui est lourde et sentimentale.
Vos œuvres sont réalisées en photomontage et prennent l’apparence de peintures traditionnelles chinoises. Pourquoi avoir choisi cette technique ? Pourquoi cette évocation historique ?
La principale raison est la ressemblance des montagnes d’ordures ramassées avec nos paysages verdoyants, l’association à ce style s’est donc faite naturellement. Je ne me suis pas référé à un style particulier de peintres anciens car ce n’était pas nécessaire. Au lieu de cela, j’ai adopté la forme de la peinture traditionnelle chinoise pour retranscrire ma réalité, car la forme à elle seule suffit. Toutefois, au cours d’une longue période de recherche, j’ai été profondément impressionné par les travaux de Huang Gongwang, Ni Zan, Tang Yin, Wen Zhengming.
Tout au long du processus de production, j’ai utilisé une diversité de moyens et de techniques, tels que la prise de vue sur site, la numérisation d’images, le téléchargement de visuels en ligne, etc. Le principe directeur était de se conformer à la peinture, y compris les dimensions du fichier, les perspectives, la correspondance de la scène à la peinture, etc.
Pensez-vous que les philosophies ancestrales chinoises peuvent nous inspirer pour mieux vivre en harmonie avec la nature ?
J’ai toujours pensé que les êtres humains devaient respecter et honorer la nature. Notre démesure et notre aveuglement détruisent actuellement les montagnes et les rivières qui se sont formées au cours de millions d’années. Notre meilleure option est de s’améliorer ne serait-ce qu’un peu, il nous faut veiller à ne pas détruire cet équilibre.
La pensée chinoise ancienne parle d’ « harmonie ». Je pense que les êtres humains doivent enfin se réveiller et apprendre à coexister avec la nature.
De plus en plus de Chinois prennent conscience de l’importance des problèmes environnementaux et de la menace qui pèse sur la culture traditionnelle, et travaillent activement à leur préservation. Mais cela prendra beaucoup de temps.
Comment votre travail est-il perçu en Chine ?
La forme de mes œuvres est compréhensible pour les Chinois car elles rappellent des peintures chinoises très classiques. Bien sûr, en ce qui concerne les idées qui y sont véhiculées, un peu de discernement s’impose.
L’environnement est-il, comme en Europe, un thème de travail ou d’engagement qui concerne de plus en plus d’artistes ?
C’est vrai, les questions environnementales sont une préoccupation majeure pour toute l’humanité, et de nombreux artistes que je connais ici ont également commencé à aborder ce sujet. Depuis 2008, je participe à de nombreux salons, forums et conférences sur l’environnement. C’est un sujet qui se développe depuis plus de 10 ans.
Je pense qu’en tant qu’artiste, le plus important est d’avoir son propre point de vue artistique. A mon sens, un artiste est un intellectuel qui possède des savoir-faire techniques voire technologiques. Ses œuvres doivent s’efforcer d’exprimer ses émotions et son véritable état intérieur.
Quels sont vos projets à venir?
J’ai récemment terminé quelques séries d’œuvres dans lesquelles le thème du « paysage vert » s’est progressivement estompé, tandis que les préoccupations pour la survie humaine et notre espace de vie restent centrales. De plus, j’explore également les « NFT » dont l’arrivée a influencé les possibilités créatives.
Conversation avec Lou Anmella-de Montalembert
Avec son association ACA project et sa société maison jade art, Lou Anmella-de Montalembert partage sa passion pour l’art contemporain d’Asie. En 2022, elle introduit le travail de l’artiste chinois Yao Lu au sein de son exposition L’Impermanence de toute chose présentée par OPENART Advisory+Projects.
Article également publié sur ACA Project
Portrait, 2022 @Yeon Lu
Impact Art News #39 Juillet/Août/Septembre 2022
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